Rallye des Camps 18 août : Orange-Montpellier par Saint-Maurice-l’Ardoise et Château-Lascours

Orange-Montpellier par Saint-Maurice-l’Ardoise et Château-Lascours

Château_Lascours c                                                                                                              Le château de Lascours, où les Harkis célibataires et les prisonniers survivants des geôles algériennes étaient gardés en quarantaine avant de rejoindre leurs familles ou d’être dispatchés dans les camps. Aujourd’hui, le château a été transformé en HLM.

    C’est en état de presque apesanteur que je dévalai la pente Ouest du Ventoux jusqu’à Malaucène. J’avalai les quarante kilomètres de plat qui me séparaient d’Orange par Vaison-la Romaine en une heure et demie. Comme de juste, une fois dans les rues d’Orange, le plan que Bernard m’avait donné pour trouver « facilement » l’adresse d’Alain Pérez, le frère de Francine, était inutilisable. Au bout de deux quarts d’heure d’errance, je décidai d’appeler Alain. Encore une vingtaine de minutes de patience sur la place du Théâtre et je vis arriver Alain qui me lança aussitôt une blague …en Arabe. Evidemment, je n’y compris rien ! Lui, par contre, le maîtrise parfaitement et, durant tout le repas du soir, il émailla la conversation de répliques en arabe qu’il dut à chaque fois traduire à son épouse et à moi-même.

    C’est, encore une fois, revigoré que je repartis le lendemain pour une nouvelle étape. Ce dimanche était particulièrement émouvant pour moi car c’était seulement la troisième fois que je me rendais au camp de Saint-Maurice-l’Ardoise, qui est le symbole à mes yeux de ce que la France a fait de pire dans son histoire.

    J’ai découvert Saint-Maurice-l’Ardoise en 1992. Cette année-là, à la suite d’une expérience politique décevante qui m’avait fait quitter Dreux en jurant qu’on ne me prendrait plus à m’occuper de Harkis, j’avais migré vers des contrées plus ensoleillées en espérant y construire un nouvel avenir pour les miens. Mais on a beau fuir, on est toujours rattrapé par son destin. Le lendemain de mon arrivée à Montpellier, je fis la connaissance dans un café d’un petit groupe de jeunes hommes qui se trouvaient être des enfants de Harkis. Et je vis très vite combien ceux-là étaient démunis comparés à ceux, trop bien nourris, que j’avais connus à Dreux. La visite en leur compagnie du camp de Saint-Maurice-l’Ardoise, avec Hacène Arfi comme guide, finit de me convaincre qu’il ne fallait pas déserter. (Ecouter l’émission La fabrique de l’Histoire du 5 mars dernier consacrée à ce sujet)

    Beaucoup plus récemment, en 2007, lors de la sortie de mon livre « Manifeste d’un fils de Harki fier de l’être », à l’occasion d’une conférence que je donnais à Nîmes, je fis la connaissance d’une jeune femme, dont l’histoire me bouleversa et me bouleverse encore lorsque je l’évoque en public, qui concentre à elle seule toutes les misères subies dans ces camps par les Harkis, leurs femmes et leurs enfants. Le même jour, beaucoup de Pieds-Noirs qui assistaient à la conférence vinrent vers moi éplorés et me demandèrent pardon. Pardon pour avoir, disaient-ils, ignoré le sort des Harkis, désireux qu’ils étaient, au moment de l’exode, d’oublier en plongeant tête baissée dans le travail pour laisser quelque chose à leurs enfants. Gêné par les larmes dont certains d’entre eux inondaient mes mains, je les consolais comme je pouvais. Et tous concluaient en demandant ce qu’ils pouvaient faire, maintenant, pour réparer.

    Jusqu’alors, j’avais une idée abstraite de ce qui réunissait les Pieds-Noirs et les Harkis : la défense d’une même cause qui est, plus ou moins bien formulée, celle de l’Algérie française. Concrètement, je ne connaissais que les familles de PN qui vivaient dans ma cité du Lièvre d’or, à Dreux, des gens comme nous, de braves gens exilés. Mais je savais que certains PN parlant l’Arabe avaient activement participé comme cadres de terrain au traitement indigne que la France avait fait subir aux Harkis des camps. Par la suite, lorsque je m’intéressai comme militant actif à la question, je découvris aussi comment les ministères responsables de la politique de discrimination à l’égard des Harkis étaient peuplés d’enfants d’activistes PN sans scrupule. Cela ne m’empêchait pas, car je me refusais à l’amalgame, de sentir confusément que la très grande majorité des PN étaient solidaires autant qu’il était possible des Harkis. Et, depuis toujours, je proclamais que notre cause était commune. Tout cela me suscita beaucoup d’inimitiés dans les deux camps.

   Et voici que je touchais du doigt, concrètement, ce que je pressentais. La conjonction de ces deux rencontres, celle des Harkis souffrants et celle des PN pénitents, fut pour moi une révélation. C’est à cette époque que je fis le projet d’une Fondation PNH, que j’évoque aujourd’hui car elle n’a jamais été aussi près de voir le jour. Mais j’en parlerai plus longuement lorsque ce sera effectif.

 Saint-Maurice l'Ardoise                                                                                                          Qui croirait que cette aire tranquille et bucolique, où l’on vient volontiers pique-niquer, hébergeait naguère un camp dit « de regroupement » qui fut en réalité un camp de concentration et de travail ?

    Me voici devant la stèle érigée à l’entrée du camp en hommage aux Harkis qui y ont séjourné. C’est la première fois que je la vois et je suis déçu, formidablement déçu. Ainsi, même dans le symbole, cette France qui a été capable de faire « ça », se montre petite, mesquine, rapiate. Quand je pense aux 12 Mds d’€uros qu’elle déverse annuellement sur les banlieues pour acheter la paix avec les enfants de ceux qui nous ont égorgés ! Et là, j’ai honte. J’ai honte pour la France, pour cette France-là car je persiste à croire qu’il en existe une autre, celle pour laquelle nos parents se sont battus, enfouie dans les cœurs, écrasée, assoupie, mais qui ne demande qu’à se réveiller…

    (A suivre)

Stele_SMA

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