Cantaron à Courbons-Digne-les Bains.
Le Lac de Castillon et ses eaux turquoise.
Après une soirée conviviale et une nuit de repos chez Maïdin, je repars de Cantaron par le Chemin du Col de l’Olivier. Un raidillon à 711 mètres encore plus impressionnant en descente qu’en montée. Le plaisir n’est pas au rendez-vous car la route est trop sinueuse et inconfortable. Mais ça me console d’avoir, la veille, raté le Col de Brouis vers Breil-sur-la Roya. A partir de Saint-Martin-du Var, la route s’élève en pente très douce en épousant les courbes du torrent jusqu’à Touët-sur-Var. Là, il s’oriente vers le Nord tandis que je poursuis jusqu’à Entrevaux avant de bifurquer plein Sud par la D610 en direction de Saint-Julien-du-Verdon. La route monte par le Col de Toutes Aures, à 1 124 mètres d’altitude, où, parallèlement au débarquement du 6 juin en Normandie, une embuscade avait donné le signal de combats qui avait fait onze morts allemands en quelques jours. En représailles, le 13 juin 1944, onze résistants de la région, donc quatre lycéens de Nice, furent fusillés par la Gestapo.
Le cagnard est de nouveau au rendez-vous et, comme de juste, je ne résiste pas à la tentation d’une trempette dans l’onde tumultueuse et glacée du Verdon. Je suis reparti depuis quelques minutes seulement quand je débouche sur les eaux turquoise du Lac de Castillon. Emerveillement ! Arrêt immédiat, photo. Mais il faut vite repartir car l’après-midi est déjà bien avancé et je n’ai encore parcouru que les deux-tiers des cent-cinquante kilomètres de l’étape. A ce moment-là, je ne savais pas que des familles de Harkis avaient séjourné dans un hameau forestier sis sur la commune de Saint-André-des Alpes. Alors, je ne fais qu’y passer.
Le même vu du ciel.
Mais le coup de mou est là, qui me force à m’arrêter un peu plus loin au bar d’un hôtel. D’ailleurs, profitant de la bonne volonté provisoire de mon téléphone, je dois passer quelques coups de fil. Aïe ! Il y a de la Leffe en pression. Et, moi, a Leffe en pression, je ne résiste pas. Du coup, je m’attarde d’autant plus volontiers que le barman, un colosse lillois à queue de cheval, a la conversation facile quoique toute en discrétion. Il me parle d’un dernier col à gravir avant la descente sur Digne-les-Bains. La bière m’a ramolli et je m’inquiète en apprenant qu’il est à plus de mille mètres. Mais je me rassure en apprenant que l’hôtel est à plus de hui-cents mètres. Ce que n’a pas dit le barman, c’est que, avant l’ultime descente sur Digne, il reste encore à gravir le Col de l’Orme
Quand je débouche sur Digne-les Bains, la nuit menace déjà. Un dernier coup de fil à Francine Pérez m’indique qu’il me faut encore avaler une pente de cinq kilomètres et demi avant de toucher la terre promise : Courbons. « Arrivé à la gare, m’avait dit Francine, tu prends à droite et tu grimpes jusqu’au village ». Jamais un mot ne m’a paru, au moment d’attaquer la côte, aussi approprié. Quand je vois le panneau « Courbons : 5 km 5 », j’ai vite fait le calcul. Digne est à cinq-cent-cinquante mètres d’altitude, Courbons à plus de mille : j’ai encore droit à une côte à plus de 7% sans palier. Je lève la tête et distingue, là-haut, tout en haut, au plus haut d’un village perché que le soleil lèche encore alors que l’ombre commence à gagner Digne, une maison, une seule, éclairée d’une lumière orangée. Et je me prends à penser : « Serait-ce que Francine aurait illuminé pour me servir de phare ? »
Comme de juste, c’est très exactement au moment où je débouche sur l’unique rue de Courbons que mon téléphone sonne. C’est Francine. Dialogue : « T’es où ? » « A l’entrée du village.. » « Tu continues jusqu’à la dernière maison, tout en haut, celle qui est éclairée… » Bingo ! Elle me reproche de ne pas avoir appelé pour qu’elle vienne me chercher. Je lui réponds une banalité, gardant pour moi la vérité. Ce n’est sûrement pas en arrivant au port qu’un cycliste refuse un dernier défi ! Et puis, demain, c’est repos avant la deuxième montée sur le Ventoux… (A suivre)