Et après, le djihad en Europe ?
Prière de rue devant le « Duomo », la cathédrale de la Nativité-de-la-Sainte-Vierge, emblème de Milan.
Racca et Deir ez-Zor en Syrie, Tikrit, Mossoul et Falloujah en Irak : un territoire de plus de 200 000 km² et six villes importantes conquises avec le soutien actif des tribus locales. Les tribus, auxquelles l’administration de ce territoire a été confiée, sont-elles composées de terroristes ? Au lendemain de la démission du président chiite Nouri al-Maliki, le 15 août dernier, les chefs des tribus sunnites rebelles de la province d’Anbar se déclaraient prêts à coopérer sous conditions avec son successeur Haïder al-Abadi. Et une alliance de vingt tribus sunnites se formait et entrait aussitôt en guerre contre l’État islamique. Alors, cette guerre peut-elle est qualifiée de djihad ? DAECH ou pas, la guerre qui se déroule sous nos yeux en Irak est une guerre civile avec ses grandes batailles et ses péripéties, ses alliances et ses trahisons, ses tractations secrètes et ses négociations officielles.
Mais alors, me dites-vous, le discours des djihadistes, les prêches et les proclamations anti-occidentales de leur chef Abou Bakr al-Baghdadi, les exactions, les viols, les mariages forcés, l’esclavage, les prises d’otage, les décapitations ? Tout cela est vrai. DAESH n’est pas seulement un mouvement nationaliste et patriote, c’est aussi un mouvement terroriste. Comme Lénine et Staline en 1917, comme De Gaulle et Tito en 1940, comme Ben Gourion, Golda Meir et Begin en 1948, comme Ben Bella, Boumediène et Bouteflika en 1955. Tous personnages qui, une fois leur pays « libéré », en sont devenus les premiers dirigeants. C’est sans doute dur à admettre pour nos bonnes âmes qui ont oublié que notre belle France a eu pour terreau une succession de révolutions et pour engrais des flots de sang. Cela signifie-t-il que le chef de DAECH pourrait un jour devenir chef d’état ? Pourquoi pas ? Il a déjà son califat, son Etat islamique du Levant. Ceux qui trouvent cela ridicule ont oublié De Gaulle et son gouvernement provisoire. On me dira : « Mais, DAECH a combattu contre un gouvernement légitime ! » Comme De Gaulle ! Lui aussi s’est révolté contre un gouvernement légitime. Et, comme lui, mais on l’a déjà oublié, il s’est rebellé contre un gouvernement mis en place à la suite d’une invasion étrangère. La différence, c’est que les Irakiens se battent sur place ; il se mettent en danger et ils meurent. D’ailleurs, l’actuel chef de DAECH a succédé à son chef Abou Omar al-Baghdadi tué avec le chef d’Al-Qaida en Irak Abou Hamza al-Mouhajer. Il aurait appelé son mouvement Forces Irakiennes libres que personne n’y trouverait à redire.
Terroriste vu de chez nous parce qu’il a des pratiques dont on a oublié qu’elles sont le lot de toutes les guerres ? Même pas ! Face aux exactions des islamistes, l’Occident s’est lamenté comme une vieille femme éplorée mais il n’a pas bougé le petit doigt. Même quand ils s’en sont pris aux Chrétiens d’Irak[1] ! Par contre, quand ils ont, avec des mises en scène macabres, décapité des Anglais et un Français, alors là, on a crié à la barbarie. A barbarie, barbarie et demie ! La barbarie a commencé en Irak avec l’invasion du pays en 2003 en représailles de l’attentat du 11 septembre 2001 dont tout le monde savait que les responsables étaient en Afghanistan. (Lire)
Alors, barbarie ? Oui ! Terrorisme ? Oui ! Islamisme ? Oui ! Djihadisme ? Oui ! Tout cela est vrai, tout cela est juste. Et tout cela est logique et rationnel. Plaquer là-dessus des considérations morales et sentimentales est bien dans l’air du temps mais n’a pas de sens. Abou Bakr al-Baghdadi est un islamiste. Quoi d’étonnant vu son cursus ?[2] Qu’il soit djihadiste étonne ? Oui si on a une vision trouble, déconnectée des réalités, idéaliste, de l’Islam. L’Islam, c’est, encore une fois, des centaines d’écoles de pensée et d’interprétation et, entre le soufisme et la salafisme, il y a un monde. Les islamophiles adeptes d’une société multiculturelle comme Nicolas Domenach citent à qui mieux mieux le soufisme en essayant de faire croire qu’il a encore cours et qu’il inspire la majorité des Musulmans. Mais le soufisme, courant de l’islam le plus proche du néo-platonisme dont il vient, est mort de sa belle mort.
Le salafisme règne sur l’esprit des masses musulmanes sans boussole.
Depuis trente ans, les peuples musulmans n’ont plus de boussole. Le salafisme leur en a proposé une au moment où l’Occident, après les avoir mis sur la voie de la laïcité, s’en est lui-même écarté. Pire, il s’en est pris à ses propres créatures, les Saddam, les Assad, jetant les foules arabes dans les bras des salafistes. Le soufisme est d’ordre spirituel ; c’est la recherche intérieure de la sagesse, de la vérité par la grâce de Dieu. C’est une religion contemplative, méditative, comme le bouddhisme. Tout autre est le salafisme, religion politique au premier sens du terme, une religion qui régente la vie des adeptes et leurs rapports entre eux, un modèle de société qui offre à ses disciples un cadre et des règles pour chaque chose. Prêchée par un certain Mohammed ibn Abdelwahhab (d’où la dénomination actuelle de wahhabisme) au XVIIIème siècle, cette doctrine prône le refus de toute influence occidentale et de tout modernisme. Elle fut répandue en Arabie grâce au soutien du fondateur de la dynastie saoudienne, Mohammed ibn Saoud. Dans l’histoire, le salafisme (littéralement « retour à la foi des origines ») revient en force à chaque fois qu’il y a crise ou danger.
Le salafisme règne en maître dans l’esprit de la très grande majorité des Musulmans, en particulier ceux des émigrés en Occident. Souvent, sans qu’ils le sachent eux-mêmes, d’ailleurs. Abou Bakr al-Baghdadi est salafiste, et lui sait pourquoi. Et c’est un homme de guerre à la manière des Romains. J’ai souvent écrit sur les Arabes et les Berbères qu’ils ont préservé l’héritage romain au plan du comportement, de l’appréhension de la vie, au plan philosophique, en somme, tandis que les Occidentaux ont hérité de leurs lois et de leur organisation politique. Or, les Romains pensaient que les victoires, les succès de leurs chefs étaient la marque d’une grâce divine et que cette grâce rejaillissait sur leurs sujets. Au point qu’un chef de guerre vaincu était souvent tué par ses soldats. La plupart s’épargnaient cette souillure en se suicidant. Abou Bakr al-Baghdadi sait tout cela. Il sait que les foules musulmanes sont prêtes à se rallier pour peu qu’il ait une chance de gagner. Il sait que, s’il réussit comme chef de guerre, il réussira comme chef politique parce que tous les Musulmans le suivront. Il appelle cela « califat » (De Gaulle a préféré dire Gouvernement provisoire de la République française mais ce n’est qu’une question de vocabulaire) parce que, pour un bon musulman, la Nation, c’est l’Oumma[3]. Mais, s’il ne peut régner que sur l’Irak, il s’en contentera, comme d’autres avant lui. Et il fera comme ça s’est toujours fait depuis Alexandre et depuis Rome, jusqu’à ce que les Anglais et les Français viennent imposer leur système au Levant : il régnera et laissera chaque peuple, chaque tribu, se gouverner elle-même. Ce que les Français ont su faire au Liban.
J’ai vécu quelque temps à Toulouse en marge du quartier immigré de Bagatelle[4] : Ben Laden y était très favorablement perçu, y compris par des enfants d’immigrés de très longue date nés à Toulouse. Je me souviens notamment d’une voisine coiffeuse d’une quarantaine d’années qui m’en parlait comme d’une idole. Il ne fait aucun doute qu’aujourd’hui Abou Bakr al-Baghdadi ait pris la place de Ben Laden dans le cœur de bien des Musulmans. En fait l’Oumma est à DAECH ce que l’ONU est aux Américains : une caution. Et pourquoi se priverait-il du soutien de centaines de millions de frères à travers le monde au moment où les dirigeants décriés des pays arabes l’abandonnent ? S’en prendre à l’Occident est la meilleure façon d’y parvenir. Et il lui fallait le faire le plus spectaculairement possible. Enfin, pour montrer sa détermination et son courage, il devait brûler ses vaisseaux et ne se donner aucune chance de survie. C’est, je crois, le sens des assassinats d’Occidentaux.
Un centre de formation accélérée pour des légions d’islamistes fanatisés.
La stratégie de DAECH paie en Irak où, comme on l’a vu, des tribus sunnites se sont ralliées et l’on efficacement aidé. Et des milliers de Musulmans du monde entier l’ont rejoint ou cherchent à le faire. C’est là le véritable danger de ce conflit pour l’Occident. Il ne réside pas dans la guerre elle-même mais dans le fait qu’il sert de centre de formation accélérée pour des légions d’islamistes fanatisés. Des fous de Dieu que nous verrons bientôt à l’œuvre, ici, en Europe. Car si les efforts de DAECH et de son chef pour conquérir l’Irak et la Syrie ont toutes les chances d’échouer du fait que les mêmes qui l’ont aidé peuvent du jour au lendemain se retourner contre lui, les quelque dix-mille mercenaires venus d’Europe, eux, ou, en tout cas, les survivants, constitueront une vraie menace pour elle.
Alors, la vraie menace islamique pour la France, notamment, celle qui progresse de l’intérieur, trouvera en eux des soldats parfaitement formés et capables de fomenter ici un authentique djihad. On a peine à imaginer que ce qui s’est passé en Algérie après la guerre d’Afghanistan pourrait se produire ici, en France, sous une autre forme. Et pourtant ! Les djihadistes algériens avaient le maquis ; ici, ils auront les villes ; là-bas, ils étaient alimentés par une population dégoûtée de la dictature du FLN ; ici, ils auront celles des banlieues convaincues par nos élites bien-pensantes adeptes de l’auto-flagellation qu’elles sont délaissées alors que la Nation leur consacre soixante milliards d’€uros par an.[5]
Je maintiens que l’Occident n’a pas à se mêler de l’affaire irako-syrienne. Je crois en revanche qu’il doit sérieusement s’occuper d’empêcher le feu de prendre sur son territoire. Comment ? En brûlant les allumettes.
[1] Opposé à leur accueil en France, Louis Aliot a déclaré à Sud Radio : « Si on commence à accueillir toute la misère du monde, ça va faire du monde qui doit venir chez nous car il y a beaucoup de misère dans le monde… »
[2] Il aurait fait des études islamiques à l’Université des Sciences islamiques d’Adhamiyah, près de Bagdad
[3] Ce dont nos bien-pensants adeptes du droit du sol et de la double nationalité feraient bien de s’aviser.
[4] Un quartier suréquipé en services publics et où la seule épicerie ouverte la nuit était tenue par le seul commerçant français du quartier…