La devanture qui cache une imposture
“L’Europe, l’Europe, l’Europe !!!” A chaque plainte d’un agriculteur au bord du suicide, l’État lève les bras au ciel en reportant la faute sur l’Europe ; or, c’était sans doute vrai il y a encore quelques années mais, depuis 2013, c’est un pur mensonge. En effet, le montant de la PAC de chaque pays de l’UE est fixé par elle mais ses modalités de répartition sont du ressort des états. Autrement dit, ce n’est pas la faute de l’Europe si les agriculteurs français n’en touchent qu’un peu plus d’1/8ème, soit 1,18 mds€ sur 9,1 alloués à la France pour 2015.
En effet, ne vous y trompez pas, le site du Ministère de l’Agriculture parle de plus de 9 mds€ versés aux agriculteurs en 2014 mais ce mirifique montant inclut les sommes astronomiques captées par les banques, les industriels d’outillage agricole, les fabricants-pollueurs des nombreux intrants rendus indispensables par l’agriculture intensive, engrais, amendements, produits phytosanitaires et autres semences industrielles, et auxquels l’agriculteur moderne est devenu accroc comme le junkie à sa drogue. Parmi eux, il y a les producteurs des 65 000 tonnes de pesticides, représentant un marché de 2,2 mds€, auxquels Stéphane Le Foll a demandé aujourd’hui de réduire leurs ventes de… 20 % d’ici à cinq ans. Des pesticides dont la nocivité pour leurs usagers mais aussi pour toute la population est par ailleurs dénoncée à grands cris lors de campagnes elles aussi subventionnées. Schizophrénie !
Parmi les nombreux bénéficiaires de la PAC, on trouve des exploitants publics et privés comme, par exemple, les Chasses de Mivoisin à Adon (Loiret), qui ont touché 565 400€ pour 2014, ou le Conseil général de la Somme, qui a encaissé 938 419€ à titre de “soutien de la promotion des activités touristiques” (?). Pourquoi des activités de loisirs ou de tourisme émargent-elles à la PAC ? Mystère et boule de gomme !
Alors, évidemment, à la lecture des argumentaires publics et des articles de la bonne et docile presse française, rédigés dans le style publicitaire propre à une propagande bien conçue, on croirait la PAC entièrement vouée au développement d’une agriculture vouée à la bonne bouffe et à la santé publique. Il y a même depuis 2015 des aides à la conversion et au maintien pour l’agriculture biologique. Mais ne vous réjouissez-pas trop ; ce n’est pas demain qu’on mangera bio et qu’on réduira le taux d’obésité de 18% des Français.
Surtout, on pourrait croire la PAC destinée à permettre aux agriculteurs de vivre de leur métier. A bien y regarder, on constate que la pratique est toujours la même : les plus grosses aides vont aux plus grosses exploitations. Ce sont elles, évidemment, qui bénéficient les aides à l’investissement en machines-outils sous couvert d’emprunts, au Crédit agricole, notamment (l’un des plus gros bénéficiaires de la PAC via les prêts aidés). C’est ainsi que, pour limiter les manœuvres, certaines exploitations disposent d’autant de tracteurs que de remorques (!). Il est vrai qu’une disposition dérogatoire au droit commun leur permet d’amortir l’investissement correspondant en une fois, dès la première année, ce qui permet de dégager une formidable trésorerie.
Dans le même temps, la moitié des exploitants agricoles émarge au RSA[1].
En réalité, la France tue elle-même son agriculture. Tout cela est voulu et organisé, ce, pour la bonne raison que le projet final de nos gouvernants de tous bords est de transformer notre pays en un vaste espace voué non pas à l’activité mais au farniente, au tourisme et à la consommation de produits frelatés fabriqués en quantités astronomiques sur le mode américain. Ce sera acté par le TAFTA mais, en attendant, nos politiques amusent la galerie et nous occupent l’esprit avec de vaines promesses pour demain.
Or, il y a une solution qui figurera au programme du mouvement citoyen que nous sommes en train de mettre en place. Elle consiste à exclure du bénéfice de la PAC touts les secteurs qui ne relèvent pas de l’agriculture stricto sensu, c’est-à-dire les banques, les industries en amont et en aval des exploitations : fabricants d’intrants et de pesticides, industries agro-alimentaires. La réforme, radicale, portera sur l’esprit, les missions et la forme de l’agriculture française.
La PAC réformée s’adressera aux exploitants, pas aux exploitations : c’est le versement d’un revenu de base uniforme au titre d’un service public d’entretien du patrimoine naturel. En échange, les exploitants seront tenus à des servitudes d’intérêt public : c’est, tout au long de l’année, l’entretien de l’espace naturel et, en cas de catastrophe naturelle et climatique (tempête), une mise à disposition de leurs moyens et de leurs personnes pour participer à la réparation des dégâts. Toutes choses que les agriculteurs font déjà spontanément et sans être rémunérés.
La vocation de l’agriculture est de nourrir sainement les populations. La PAC nouvelle contribuera à cette mission d’intérêt vital de l’État en orientant la production agricole vers le bio. En conséquence, elle sera favorisée avec pour objectif 100% de bio dans les assiettes dans le délai le plus court autorisé par les contraintes techniques de la conversion. Pour réduire immédiatement ce délai de manière drastique, les subventions à l’agriculture naturelle seront fixées à un niveau très supérieur à celles réservées à l’agriculture dite “moderne”.
L’objection le plus communément avancée est que la production ne suit pas car les débouchés n’existent pas du fait du coût plus élevé du bio. Une réforme immédiate et radicale permet de franchir ce double obstacle ; c’est l’obligation faite à l’ensemble de la restauration collective publique (7 mds€ de chiffre d’affaire annuel) de se fournir exclusivement en bio et localement, dans un rayon de 30 km pour limiter les transports et les intermédiaires tout en préservant une certaine concurrence entre producteurs. Ainsi boostés, les producteurs bio baisseront considérablement leurs prix et gagneront la clientèle de l’ensemble de la restauration collective privée (4 mds€ de chiffre d’affaire). Du même élan, c’est toute la distribution alimentaire qui sera elle aussi touchée par le mouvement.
Ainsi, une simple mesure portant sur un marché de 7 mds€ pourrait, par un effet levier des plus heureux, mener à la « naturalisation » de toute l’agriculture française (70 mds€/an). Et ce ne serait pas bon que sur le plan sanitaire ; en effet, une étude de l’INRA[2] (publiée dans l’European Journal of Agronomy mais pas sur le site de l’institut !) a démontré par une expérience in situ effectuée sur vingt hectares pendant dix ans en Côte d’Or que, à rendement égal, non seulement l’agriculture naturelle est plus saine et nourrit son homme, mais elle fournit cinq fois plus emplois.
Nos politiques savent tout cela mais ils ne le veulent pas parce que ce sont des idéologues déconnectés de la vraie vie. Ces gens font des montages dans leur cervelle de technocrates puis essaient de tordre la réalité pour la faire entrer dans leurs schémas mentaux. La misère agricole, les cent-soixante suicidés par an, les dégâts environnementaux, l’empoisonnement de l’air et de l’eau, la malbouffe et les 70 mds d’€uros qu’elle coûte à la Sécurité sociale chaque année : tout cela n’est, pour eux, que dommages collatéraux. Et cela vaut pour tout ce qu’ils touchent.
Arrêtons-les avant qu’il ne soit trop tard !