La journée d’hier a été particulièrement fertile en débats fumeux qui sont autant d’écrans de fumée empêchant de voir le vrai scandale : la connivence absolue et générale entre les sphères politique et économique qui permettent à certains secteurs de celle-ci de s’assurer des bénéfices exorbitants et à celle-là des retours en emplois surpayés et des financements faramineux (15 millions pour le seul Cahuzac multipliés par combien de Cahuzac ?).
Les médias ont fait des choux gras de la grande vogue du moment : la déclaration publique de patrimoine. Qui a-t-on entendu à cette occasion ? Trois novices en politique dont on ne pouvait pas s’attendre à ce qu’ils se déclarent multimillionnaires : les ministres Najat Vallaud-Belkacem, Cécile Duflot et Pascal Canfin ; deux jeunes loups aux dents longues, Laurent Wauquiez et Bruno Le Maire. Or, si le patrimoine des premiers cités paraît conforme à leur ancienneté dans la carrière, celui déclaré des deux ministres de Sarkozy relève du mensonge éhonté. Il paraît complètement farfelu, en effet, que des membres de cabinets ministériels dès leur sortie de l’ENA, devenus députés puis ministres sans discontinuer depuis 2007 n’aient pas réussi, en 15 ans, à se constituer un patrimoine supérieur à 1 M€. Celui déclaré par Le Maire, 250 000 €, soit deux fois moins que Pascal Canfin, de 5 ans son cadet et simple député européen devenu ministre il y a un an, relève carrément du foutage de g… Mais passons !
Le cas Fillon est tout autre. L’ancien premier ministre de Nicolas Sarkozy pendant cinq ans a encore perdu une occasion de se taire. Il aurait pu, comme les autres, se contenter d’une communication plus ou moins sincère devant des caméras de télévision complaisantes. Il a préféré venir s’exhiber sur le plateau de France 2. Voici ce qu’il a déclaré à Pujadas : une maison d’une valeur de 650.000 euros, « achetée 445.000 euros dans la Sarthe il y à 20 ans », deux voitures de plus de 10 ans, et « quelques comptes d’épargnes inférieurs à 100.000 euros ». M. Fillon a eu tort de préciser qu’il ne paie pas l’ISF : ça pourrait éveiller l’attention du fisc.
En effet, comment imaginer qu’après 32 ans de carrière politique durant lesquelles il a cumulé les fonctions de maire de Sablé-sur-Sarthe (1983-2001), conseiller, vice-président puis président du conseil général de la Sarthe (1981-1985-1992-1998), président puis premier vice-président du conseil régional de Pays de la Loire (1998-2002-2004) ; enfin, président de la communauté de communes de Sablé-sur-Sarthe, dont il est toujours délégué communautaire. Voilà pour les mandats locaux.
M. Fillon a été sans discontinuer député de la Sarthe de 1981 à 2002 avant d’être élu à Paris en juin 20012. Au Sénat, il a siégé de septembre 2005 à juin 2007, date de sa nomination à Matignon. Dans la même période, il a occupé maintes fonctions ministérielles, de mars 1993 à juin 1997 (ministères Balladur puis Juppé) et de mai 2002 à mai 2005 (ministère Raffarin). Nommé Premier ministre le 17 mai 2007, il l’est resté jusqu’à mai 2012.
Accessoirement, pendant toute sa carrière, M. Fillon a occupé des fonctions au sein de son parti (RPR puis UMP) dont seuls les naïfs croient encore qu’elles sont bénévoles.
Un calcul ultra-rapide et sommaire permet d’évaluer a minima ses revenus cumulés pendant sa carrière entre 6 et 9 m€. Ce, sans tenir compte des « fonds secrets de Matignon » dont le plus petit membre de cabinet de sous-préfecture a sa part (minime pour les petits – j’en sais quelques chose ! – mais estimable pour certains), qui faisaient, aux temps de l’argent honteux, la plus grosse part des revenus des ministres. Quoique le Président Sarkozy l’ait été privé du contrôle de la cassette, on peut malgré tout penser qu’il en eu son compte. Mais, passons ! Ces choses-là sont censées nous échapper, nous, simples pékins.
Si on en croit M. Fillon, en 32 ans de carrière politique fructueuse, il n’a pu mettre de côté que 650 000 € plus « quelques comptes épargne inférieurs à 100 000 € » comme il dit avec ce détachement proche du foutage de gueule qui le caractérise et le rend si antipathique. (Je me demande ce que ça fait d’avoir ne serait-ce qu’un « compte d’épargne à moins de 100 000 € » !) Mettons que M. Fillon ait amassé un patrimoine d’1 million d’€uros. Cela signifie que lui qui a officiellement gagné en moyenne 15 600 € par mois pendant 32 ans n’a pu n’en épargner que 11%. On a du mal à le croire car, nous dit l’INSEE, le taux d’épargne moyen des Français est de …16,5%. Le taux moyen ! Or, le revenu moyen des Français est de 2 400 €. Faut-il croire qu’une personne gagnant 15 600 € par mois ne puisse épargner que 1 700 € alors que celle qui gagne 2 400 € en épargne 400 ? Faut-il en déduire que M. Fillon dépenserait chaque mois depuis 32 ans, 13 600 € de plus que la moyenne des Français ? J’ai du mal à le croire. Apparemment, M. Pujadas l’a cru.
Je ne sais pas vous mais moi, je crois qu’ « ils » nous prennent vraiment pour des c… !