EurAmérique-Russie : la nouvelle guerre froide.

Poutine ou la stratégie du judoka.

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    Les observateurs de l’affaire ukrainienne rapportent tout à Poutine en se demandant (ou en faisant semblant de se demander) quels sont ses objectifs et quelle est sa stratégie. Et personne ne relève que, en bon judoka, il ne fait que s’appuyer sur les erreurs des autres pour marquer des points. Tous les commentaires partent du présupposé selon lequel la crise ukrainienne suit un plan réfléchi, conçu, manigancé par Vladimir Poutine. Pour tout le monde, tout est parti d’une révolte populaire, d’une réaction salutaire du peuple ukrainien contre un pouvoir corrompu et incompétent. C’est trop vite oublier que, quelques semaines auparavant, l’Europe négociait avec le président corrompu Ianoukovitch l’adhésion de son pays à l’UE, et, avec les Américains, son entrée dans l’OTAN. Jusque là, il s’agissait seulement d’appâter l’Ukraine par l’argent. Mais la Russie offrit une aide cinq fois plus conséquente que celle promise par l’Europe et Ianoukovitch parut pencher du côté russe. C’est alors qu’on vit les manifestations s’intensifier à Kiev.

    Le drame est que les Américains et les Européens à leur suite ont, sans prendre le temps de réfléchir à ses implications géopolitiques – à moins qu’ils aient résolu en conscience de passer outre – voulu y voir un plébiscite de leur propre modèle par les Ukrainiens unanimes. Et de faire comme si la nouvelle Ukraine à peine en gestation avait d’ores et déjà rejoint « le camp de la liberté ». Et les médias de s’extasier sur les manifestants de la place Maïdan mus selon eux par le seul amour de l’Europe. Qui, alors, s’est avisé de ce que la chute d’un gouvernement élu à la suite d’une révolution pouvait être considérée par une partie des Ukrainiens comme illégitime ? Qui s’est inquiété des répercussions de cette révolution sur la cohésion interne du pays et de l’évolution inévitable des relations du pays avec ses voisins ? Quelques personnalités comme Jacques Myard et Alain Marsaud s’y sont risquées et se sont vus qualifier de réactionnaires.

Poutine, dernier rempart de la civilisation romaine-chrétienne.

    Moins d’un an plus tard, nous voici revenus à la guerre froide. Et on continue de présenter le président russe comme le deus ex machina de cette crise, sans rien concéder à l’incroyable série d’initiatives des nouvelles autorités ukrainiennes qui en a ponctué le cours. A commencer par la décision initiale de ne plus considérer le russe comme une langue nationale. Comment ne pas penser qu’elle a définitivement installé le doute et le ressentiment dans l’esprit des populations russes d’Ukraine, majoritaires dans l’Est du pays ? Depuis, rien n’a été épargné au pauvre peuple ukrainien pour le mener à la catastrophe. Refusant de prendre en considération les déclarations d’apaisement de Vladimir Poutine à l’égard de Kiev (reconnaissance du gouvernement né de la révolution, désaveu des séparatistes, refus de la partition, dénonciation des élections à l’Est, etc.), le pouvoir ukrainien et ses soutiens européistes ont fait mine de n’y voir que des manœuvres.1] D’où le choix des sanctions économiques et de la guerre, autrement dit, du recours à la force.

    Ce parti-pris suscite deux questions : 1°/ Pourquoi les puissances occidentales ne saisissent-elles pas l’ONU ? 2°/ En droit, la responsabilité collective n’existe pas ; en admettant que le président de la Russie soit coupable de quelque chose, qu’est-ce qui autorise à punir des personnalité civiles et des agents économiques russes ?[2] Mais ces questions ne seront posées que pour la forme. Il y a bien longtemps que l’Occident fait tout pour étouffer la Russie. Par exemple, elle a attendu dix-neuf ans son admission à l’OMC où elle n’est entrée qu’en 2012, après toutes les anciennes républiques européennes de l’URSS. Depuis lors, plusieurs crises ont opposé la Russie à l’occident. En particulier, la reconnaissance de l’Ossétie du Sud en 2008 après une courte guerre avec la Géorgie. Puis ce fut l’affaire – en cours – de Syrie. Mais les raisons profondes du conflit avec l’Occident résident surtout dans le refus de la Russie d’entrer dans la sphère d’influence américaine en renonçant à un rôle géopolitique de premier plan et en se posant en dernier défenseur de la civilisation chrétienne (lire ma série d’articles sur ce thème dont Guerres de civilisations : l’Ukraine).

Des sanctions économiques inopérantes et suicidaires.

    Les sanctions économiques imposées par l’UE et les États-Unis sont dans la continuité de cet ostracisme politique. Mais elles ne servent que les Américains et leurs satellites non européens. Pour les pays de l’UE, elles sont à double tranchant, inopérantes et suicidaires à long terme. La Russie importe chaque année pour 30 mds€ de produits agroalimentaires dont la plus grande partie d’Europe. L’arrêt de ses importations consécutif aux sanctions provoque déjà d’énormes problèmes dans les pays de l’UE, en particulier en France, dont les échanges avec la Russie s’élevaient en 2013 à 17,8 mds€. Selon la Chambre de Commerce et d’Industrie Franco-russe, 1 200 sociétés françaises sont implantées en Russie, et plus de 6 000 autres y exportent. Pour le moment, d’après le président de la CCIFR, aucune société française n’a quitté le marché russe, mais le nombre de chômeurs en France pourrait augmenter « de l’ordre de 150 000 si les sanctions venaient à être renforcées ». Les dégâts seraient encore plus importants pour l’Allemagne qui réalise 76 mds€ d’échanges avec la Russie et dont 6 200 entreprises y sont implantées. De manière générale, l’UE ne pourrait se passer longtemps d’un marché de 120 mds€, même déficitaire de près de 86,7 mds€ en 2013. De Russie, elle importe principalement de l’énergie. Or, si elle devait renoncer au pétrole et au gaz russes, il faudrait quand même les acheter ailleurs. Et pas forcément à un tarif aussi favorable. Quant à l’armement, les Européens, les Anglais et les Allemands en particulier, ne pourront pas réclamer longtemps la non livraison du Mistral à la Russie alors qu’eux-mêmes continuent de lui vendre des armes. D’ailleurs, tout semble indiquer que la France joue la montre en attendant des jours meilleurs. Autant dire que les sanctions commerciales ne sont pas de celles qu’il faut craindre longtemps. Ni pour les Russes, ni pour nous.

    Autre chose est la guerre en Ukraine. Car, si les puissances sont revenues à la guerre froide, les Ukrainiens, eux, s’entre-tuent bel et bien ; on parle de quatre mille morts à ce jour. De fait, à partir du moment où l’option fédérale, seule capable de résoudre le conflit, a été rejetée, la bataille pour le contrôle de sites vitaux pour l’économie du Donbass : unités de production et de stockage d’énergie, aéroports et ports sur la Mer d’Azov, est inéluctable. Peut-être même, si les séparatistes sont vainqueurs, seront-ils tentés de pousser leur avantage jusqu’à vouloir priver l’Ukraine de tout débouché sur la Mer Noire en s’emparant d’Odessa ; on sait quand une guerre commence, on ne sait jamais quand elle va finir. Kiev a décidé de fermer les services publics et de suspendre tout flux financier vers le Donbass, privant ainsi ses habitants de 2,6 mds€ de salaires, de pensions et de prestations sociales. Autant dire que le gouvernement ukrainien a déjà pris son parti du conflit qui s’annonce. Cela signifie-t-il qu’il a décidé de taper fort ? Ou a-t-il d’ores-et-déjà accepté la partition ?

    Une chose est sûre, le président Poutine sait qu’il n’a rien à craindre de gouvernements qui comptent leurs morts au combat. Quoi qu’il advienne, il restera droit dans ses bottes et, tel un judoka, il se contentera d’une victoire aux points acquise par la seule exploitation des erreurs de l’adversaire. Comme il le fait depuis le début de cette affaire.

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[1] C’est assez curieux car Vladimir Poutine a prouvé qu’il dit ce qu’il fait ce qu’il fait et qu’il dit. Compte tenu de la paralysie des Occidentaux face à l’annexion de la Crimée, s’il avait voulu s’emparer de  l’Est de l’Ukraine, sans doute l’aurait-il fait sans états d’âme.

[2] En pure perte, si ce n’est pour les Américains, qui, eux, n’ont rien à perdre.

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