« Je gagne de l’argent. Et alors ! » Thierry Robert, Député de la Réunion, exaspéré à juste raison.
Faux streap-tease chez les Tartuffes !
D’entrée, nous attribuons le Tartuffe d’honneur à Dominique Seux qui, sur France Inter, jeudi matin, s’est livré dans son édito éco à cette réflexion : « Un ministre, un parlementaire qui paient l’ISF seront-ils suspects dès qu’ils en parlent ? Va-t-on se dire, soudain, ah, mais ! Hollande a conservé le relèvement du seuil d’entrée dans l’ISF décidé par Sarkozy, 1,3 million, parce qu’untel ou untel y avait intérêt ? » Ce qu’il n’a pas dit, c’est que le untel en question n’est autre que …François Hollande himself. En effet, la fortune du président socialiste étant, avant son élection, juste sous le seuil fatidique de 1,3 M€, il a renoncé à l’abaissement dudit alors qu’il l’avait promis dans sa campagne.
Mais venons-en à nos moutons. Entendre Fillon se livrer à un mensonge plus gros que lui face à un Pujadas jubilard (ne cherchez pas, je viens d’inventer le mot), c’était quand même, à condition de savoir ce que cela cache, un plaisir de gourmet. Pour ceux qui ne le savent pas, Pujadas gagne 50 000 € par mois, comme Apathie ! (vous avez bien lu : cinquante mille €uros). C’est moins que son collègue Delahousse, qui bénéficie d’un contrat d’1 million d’€uros par an, soit 83 000 € mensuels, mais c’est beaucoup plus que les 18 276 € nets officiels du Premier Ministre de la France. Va comprendre, Charles ! Pujadas ne risquait pas de s’entendre demander par Fillon « Mais, dites donc, vous qui m’interrogez sur mon patrimoine, combien gagnez-vous ? » Ce qui lui est passé par la tête à se moment-là était tout entier dans l’œil de Pujadas. « Cause toujours, disaient-ils, tu peux tromper ces veaux de Français, pas moi ! » (Excusez-moi pour « veaux » mais j’aime bien citer les grands auteurs, en l’occurrence, De Gaulle).
Plus sérieusement, cette histoire de publication du patrimoine des élus est une sacrée fumisterie. Un écran de fumée qui donne le torticolis aux vedettes de la médiasphère française. Entendre Jean-Marie Colombani s’échiner (« Questions critiques » vendredi, sur France Inter) à expliquer, justifier, défendre becs et ongles, comme une groupie qu’il est, les initiatives de François Hollande… Evidemment, le conflit d’intérêts, c’est son gagne-pain. M. Colombani est un « journaliste » soi-disant indépendant qui profite pleinement de l’arrosage des lobbies qui se pratique depuis trente ans. Ce monsieur avait droit à trois émissions sur le service public de radio-télévision : une sur France Inter, l’autre sur Public Sénat, dont le titre, il fallait l’oser, est « Jean-Marie Colombani invite » et une sur France Culture « la rumeur du monde », en compagnie de son compatriote corse Jean-Claude Casanova. Cette dernière émission a été supprimée fin janvier, sans doute, du fait de l’implication de son complice dans l’affaire de Sciences Po. Par ailleurs, M. Colombani a créé un site dit d’information mais, en réalité, où on brasse du vent et des idées sur tout et n’importe quoi : Slate.fr, avec deux anciens du Monde, Eric Leser et Eric le Boucher et un personnage incontournable depuis qu’il a été le conseiller et sherpa en chef de François Mitterrand, Jacques Attali. Jean-Marie Colombani, qui a, comme tous les créateurs de sites internet introduits, touché 200 000 € à la création de slate.fr, ne manque jamais d’inviter l’un ou l’autre de ses associés dans l’une ou l’autre de ses émissions, en évitant soigneusement d’indiquer leurs liens. Comme de juste, ces messieurs, qui ne manquent jamais de stigmatiser les cumuls politiques, cumulent plusieurs activités et rémunération : cela facilite la dissimulation.
Mais, si Colombani, ne peut pas, tempérament corse oblige, cacher ses préférences, il est d’autres journalistes-commentateurs-éditorialistes-consultants beaucoup plus prudents …et cachottiers. Regardez chaque jour sur France 5, C dans l’air. C’est, pour le coup, un festival de tartufferies. Depuis que Cahuzac a avoué, ce ne sont pas moins de six émissions qui ont été consacrées à l’affaire, à ses conséquences et à ses suites. Eh ! bien, je mets quiconque au défi d’en tirer UNE affirmation franche ou UNE information qui ne soit pas contrebalancée par son contraire. Les jésuites tiennent salon chaque soir à 17 h 45 sur France 5 ! Il est vrai que pratiquement tous les invités à parler de politique, d’économie ou de scandales dans cette émission doivent quelque chose au système. D’abord, ils tous, soit des journalistes, soit des syndicalistes, soit des élus[1]. Quant à l’inviteur, Yves Calvi, il est lui-même journaliste, socialiste et salarié d’une société de production privée bénéficiaire d’un privilège sur l’espace public de télévision. En effet, l’émission est produite par une société filiale de Lagardère Médias, dont le président est… Jean-Pierre Elkabbach, lui-même cumulard privé-public, et, accessoirement, insulteur, sur une chaîne institutionnelle (Public Sénat) d’institutions telles que l’Armée française (voir pétition « Taisez-vous, Elkabbach ! »). Tant ce « monsieur » se croit intouchable.
C dans l’air étant bourrée jusqu’à la caricature d’illustrations de mon propos, je n’en relaterai qu’une. C’est le très célèbre Christophe Barbier qui, à propos des « fonds secrets », en parle comme de frais de représentation, suggérant par là qu’il ne s’agissait de rien de plus que de permettre à nos pauvres ministres de s’acheter un costard de tant en temps pour mieux représenter la République. Il ajoute qu’on les a supprimés. Il n’y aurait là, apparemment, qu’une simple malice de sophiste rompu à la dialectique politique, si les deux assertions n’étaient fausses. En effet, non seulement les fonds secrets étaient, au niveau des ministres, d’un montant très, très, très élevé, mais, de plus, ils existent toujours, mais ont été, en son temps, confisqués par le président Sarkozy. Si ce n’était pas le cas, comment expliquer qu’un président de France Télécom payé 1,44 M€ par an à ce titre, mais, en réalité, plus encore si on additionne ses nombreux jetons de présence encaissés au titre de ses fonctions dans une multitude de conseils d’administration de société du CAC40, ait accepté de passer, en devenant Ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, à …12 000 € mensuels, soit 144 000 € annuels, c’est-à-dire très exactement dix fois moins ? Et même, en réalité, si on intègre les jetons de présence perdus, un manque proche de 100% ? Thierry Breton, qu’on ne savait pas si désintéressé, l’a fait. Enfin, l’aurait fait, si on en croit la fable qu’on essaye de nous faire avaler. Moralité : la différence étant forcément réglée d’une manière ou d’une autre, le plus probablement au moyen des fonds secrets, ceux-ci étaient au minimum, pour ce ministre, de 108 000 € et plus par mois. Enfin, on ne voit pas bien pourquoi M. Breton aurait quitté une présidence prestigieuse et très lucrative pour un emploi précaire de ministre, fût-il plus prestigieux encore. J’en conclus que les « compensations », appelons-les comme ça, étaient d’une autre dimension que celle qu’on veut nous faire croire. Et je ne vois pas bien pourquoi cela aurait changé entre 2007 et aujourd’hui. Notons que, après son passage à Bercy, Thierry Breton est devenu professeur à Harvard puis, un an après, président d’Atos. On se doute bien que, Harvard ne participant pas du système, cette parenthèse ne constituait qu’une sorte de sas de décompression avant de passer aux choses sérieuses. Cette société de services contrôlée à 100% par l’État qu’est Atos est particulièrement généreuse puisqu’elle lui alloue 2,3 M€ en 2009 puis 2,4 M€ en 2010 et 2011.
Sur le fond, la question des conflits d’intérêts est en réalité au cœur de la dérive des pratiques qui sert à la confiscation de la France par une caste de lobbies prédateurs. Si la presse, à la suite de Médiapart, faisait son travail, ce sur quoi je ne parierai pas un kopeck, les Français découvriraient avec consternation comment la France est rackettée par une foultitude de gens de mêmes origines sociales, suivant le même cursus de formation (grandes écoles, Sciences Po, ENA) et passant allègrement du service public au service d’intérêts privés, ou même, comme on le verra plus loin à propos de Raymond Soubie, servent les deux en même temps. Comme politiques, ils font des lois qui facilitent les choses : institutions propices au système, recrutement des élites politico-administratives incestueuses, facilités données au pantouflage, mesures d’aides massives aux entreprises (100 Mds€), niches fiscales (150 Mds€ au bas mot) qui s’accompagnent nécessairement de taux d’imposition nominaux disproportionnés avec les besoins, etc. Tout un dispositif qui permet d’essorer les forces vives captives (petites et moyennes entreprises du marché intérieur et classe moyenne) tout en permettant aux « gros » d’échapper à ces obligations. C’est ainsi que l’impôt sur les sociétés (IS) est de 34,33% pour le producteur captif, celui qui ne peut pas délocaliser, mais se traduit par un versement moyen de …3% pour les entreprises du CAC40 dont 14 paient 0% et 26 règlent 7% en moyenne. Total, au lieu de 180 Mds€ attendus, l’IS a rapporté 39 Mds€ en 2011. C’est ainsi également que le rendement de l’impôt sur le revenu est grevé de 85 Mds€ de niches fiscales ciblées dont certaines s’avèrent complètement délirantes, comme les soi-disant aides au développement de l’Outremer. Leurs bénéficiaires sont, par définition, les gros contribuables, dont certains, très bien conseillés et « introduits », arrivent grâce à elles, à ne payer aucun impôt, et les politiques, qui sont à la fois au four et au moulin (voir Nicolas Bazire, conseiller d’un Premier ministre et bénéficiaire d’une « niche Giradin » particulièrement favorable). C’est ainsi que les aides à l’emploi, qui profitent essentiellement aux grandes entreprises, s’élèvent à 100 Mds€. En retour, celles-ci emploient des quantités astronomiques d’élus, d’apparatchiks politiques et de membres de cabinets ministériels.
Mais comment demander aux médias d’enquêter là-dessus alors qu’ils en profitent à hauteur de 2,4 Mds€ par an d’aides directes et indirectes, permettant aux journalistes de bénéficier d’un abattement de 30% (plafonné à 7 500 €) de leur salaires tant pour le calcul de leurs charges sociales que pour celui de l’IRPP ? Comment demander, en particulier, au service public de radiotélévision d’en disséquer tous les tenants et aboutissants alors que, comme on l’a vu à propos de C dans l’air, les intérêts privés y font la loi (Lagardère Médias n’est pas la seule société privée dans son cas). C’est même tout l’inverse. J’écoutais ce matin (dimanche 14) sur France Culture l’émission de l’excellent Michel Meyer L’esprit public (que je vous recommande) : M. Jean-Louis Bourlanges, professeur à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris (Sciences Po) y a passé son temps à essayer, malgré les efforts de Max Gallo, à nous faire croire que l’affaire Cahuzac était une affaire de personne close, tout en profitant de l’occasion pour nous vendre ses lubies internationalistes d’aveugle européiste. Il faut dire que, très innocemment, tant cela est naturel à nos élites politico-intellectuelles, M. Bourlanges, énarque, ancien membre de cabinets ministériels, député européen, ministre, président d’un think-tank politique archi subventionné et ayant son rond de serviette à la table des médias publics, est un pur produit du système.
Mieux, si on peut dire, celui qu’on qualifie de « pape » des politiques sociales, le roi du conflit d’intérêts, est régulièrement invité, notamment par Calvi, à la plupart des débats sur ce sujet. Raymond Soubie, car c’est lui dont il s’agit, y dispense sa science avec une morgue et une lippe baveuse de prélat pédophile. Habillé comme un vendeur d’assurance-vie, embagousé d’or, boutons de manchettes et épingle de cravate – il ne lui manque que la boucle d’oreille – il fait descendre de sa hautaine supériorité de deus ex machina dont personne n’ignore qu’il tire les ficelles du système, ses sentences définitives et creuses sur toutes choses. Le tout devant un présentateur et des invités tétanisés dont aucun n’ose l’interrompre et, surtout, ne se permettrait de poser une question sur les bénéfices dont il en tire depuis quarante ans. Car Raymond Soubie est le symbole même du conflit d’intérêts. Conseiller social d’une multitude de gouvernements depuis Joseph Fontanet en 1969, il a, pendant quarante ans, inspiré une politique d’aide massive aux grandes entreprises, lesquelles ne lui ont pas ménagé leur soutien. C’est ainsi qu’il a créé en 1992, alors qu’il était fonctionnaire, Altédia, une société privée de conseil aux entreprises (essentiellement du CAC40) grâce à des fonds provenant de sociétés publiques ou récemment privatisées à la mode Balladur, c’est-à-dire dirigées et, en réalité, confisquées par d’anciens condisciples énarques. Car M. Soubie a, comme de juste, fait Sciences Po et l’ENA. En 2005, il a vendu Altédia au groupe Adecco, société d’intérim qui, quel hasard, avait été choisie, sur ses conseils, par les pouvoirs publics pour privatiser la Poste. A la clé, un pactole de 60 millions d’€uros pour lui[2], et son maintien à la présidence d’Altédia jusqu’à 2007, et 30 M€ pour son complice Philippe Kienast. On retrouve les deux personnages co-propriétaires d’AEF, une agence spécialisée dans la formation professionnelle, dont on sait qu’elle est un secteur propice au détournement de fonds publics et une source de revenus indécents pour beaucoup d’initiés, et le conseil aux grandes entreprises, qui y sont toutes, comme de juste, abonnées. Parmi elles, Bouygues, la RATP, Thalès, Areva, Generali, la BNP Paribas, EDF, Total, GDF-SUEZ, Veolia. Le tout, sous le parrainage de la Caisse des Dépôts et Consignations, qui avait beaucoup aidé M. Soubie à créer Altédia en 1992. Enfin, Nicolas Sarkozy l’a nommé au Conseil économique et social (3 000 € mensuels pour une réunion hebdomadaire facultative) où il avait déjà siégé pendant des lustres.
Si ça, ce n’est pas le prototype du mélange des genres et du conflit d’intérêts, alors, les mots n’on plus de sens. On s’attendait donc qu’à l’occasion de l’affaire Cahuzac, le cas Soubie, effleuré naguère par Marianne et Rue 89, lesquels n’y sont que modérément intéressés, tant ils trempent dans le système, et exploré plus profondément par Médiapart et le Canard enchaîné, sorte en pleine lumière. On attend toujours !
(Pour en savoir plus, lire Kader HAMICHE, as BRUTUS, La France Confisquée, essai sur l’accaparement de la France au détriment de son peuple.)
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