Dassault, l’Intouchable
Serge Dassault n’a jamais eu à se plaindre de son ami Mélenchon
Tout le monde s’offusque de ce que des Sénateurs socialistes se sont joints à ceux de l’UMP pour s’abstenir ou voter contre la levée de l’immunité parlementaire de Serge Dassault. Et tous de se mettre en chasse du corrompu qui se serait – ce n’est pas dit mais ça s’entend et se lit entre les lignes – laissé acheter. Une démarche parfaitement légitime, par ailleurs : quand on est capable de donner des sommes astronomiques (on en est à plus de 5 millions d’€uros identifiés, soit plus de la moitié du budget annuel du FN !) à des margoulins de banlieue, on peut bien s’offrir un élu. Du reste, ne s’agit-il que d’un ou deux élus ? Il est curieux que personne n’ait pensé que l’abstention et le vote négatif de deux sénateurs socialistes arrangent bien l’ensemble du parti du même nom. Autrement dit, si achat de vote il y a eu, c’est celui de l’ensemble des Socialistes du Sénat. Une évidence, quand on connaît les rapports historiques de la famille Dassault avec le pouvoir.
Ce qui choque, c’est que personne ne s’offusque de ce que l’ensemble des sénateurs de droite aient voté contre la levée de l’immunité de Serge Dassault. Ainsi, la morale est tellement absente des préoccupations de nos élites politico-médiocratiques que la collusion des élus avec l’un d’eux soupçonné de délinquance politique leur paraît parfaitement normale. Et personne, à ma connaissance, ne s’est avisé d’examiner la question du point de vue non seulement de la morale, comme on l’a vu, ni de celui de l’éthique politique (ce qui n’est pas la même chose) mais même pas dans la perspective de l’intérêt national. Bref ! Que le Sénat ait à cette occasion illustré la dérive scandaleusement décadente de la politique française, et alimenté le mépris de l’étranger pour nos élites, voilà bien qui n’inquiète personne.
Curieusement, mais je ne veux y voir aucun lien, c’est le moment choisi par Jean-Marc Ayrault pour annoncer que l’État, c’est-à-dire les Français, allait injecter 1 milliard d’€uros pour améliorer le Rafale. Ainsi, les Français, qui croyaient que la France était cliente de Dassault Aviation, découvrent qu’elle est aussi son mécène. Mais les rapports de Dassault avec l’État socialiste ont toujours été particuliers. Alors que, dans le programme d’union de la Gauche de 1972, Dassault Aviation figurait en tête des sociétés à nationaliser, son fondateur, Marcel Dassault obtient d’en rester maître grâce à une combinaison favorable à ses intérêts. Ce, alors que l’entreprise était en difficulté, ce qui lui permit de dire plus tard que l’entrée de l’État dans son capital fut sa meilleure affaire. Par la suite, mais c’est moins étonnant, le magnat et élu RPR n’eut pas à se plaindre des « privatisations » Balladur, lesquelles furent, en vérité, une confiscation des richesses nationales par la haute fonction publique (voir La France Confisquée).
Dassault fait souvent l’actualité à cause de ses difficultés à vendre le Rafale. En vérité, cette société, qui réalise 75% de son chiffre d’affaire à l’exportation, est plus que prospère. En 2012, elle a réalisé 524 millions d’€uros de bénéfice net pour 3,941 mds€ de chiffre d’affaire, soit un rendement, très exceptionnel pour une industrie de ce niveau, de plus de 13%. Ce, grâce au Falcon, qui représente 71% du chiffre d’affaire. mais pas seulement. En effet, le principe « déficit public, bénéfices privés » s’applique très bien ici. Chez Dassault, l’aviation militaire, très déficitaire et très soutenue par l’Etat, constitue une rente qui permet à l’aviation civile de générer d’énormes revenus. La France a acquis plus de la moitié des six cents exemplaires de Mirage 2000 produits jusqu’à présent. Quant au Rafale, il ne vit que des commandes de l’État (cent-quinze livrés à ce jour). Celui-ci vient de réduire ses engagements à six par an au lieu de onze jusqu’à présent ; mais, comme on vient de le voir, la baisse des commandes a aussitôt été suivie de l’annonce d’une injection d’1 md€ en capitaux.
Mais alors, pourrait-on se demander, pourquoi l’État ne nationalise-t-il pas Dassault ? Pourquoi accepte-t-il d’entretenir des milliardaires ? Pourquoi accepte-t-il d’acheter trop cher en sachant que, par exemple, les techniciens de chez Dassault gagnent en moyenne 3 500 € par mois contre 2 500 pour leurs homologues concurrents ? La réponse est simple : Dassault Aviation, comme beaucoup de sociétés de droit privé très liées à l’État ou aux collectivités territoriales (voir Veolia) ou dépendantes de leurs commandes et de leurs politiques (les laboratoires pharmaceutiques, les opérateurs téléphoniques, les banques) est une véritable lessiveuse d’argent public au bénéfice de tiers. Outre le financement direct des partis politiques, ces entreprises assurent l’emploi plus ou moins réel mais toujours très bien payé d’élus, le leurs proches ou de leurs collaborateurs.
« Je te tiens, tu me tiens, par la barbichette ! »