« Ne réveillez pas l’Ours qui sommeille ! »
Heureux comme un parlementaire de la fédération de Russie ! Hier, le Sénat russe a voté pour autoriser Poutine à engager des troupes en Ukraine. Ce n’est pas en France qu’on verrait ça ! Hollande, pas plus que Sarkozy, n’a demandé l’avis des élus du peuple français avant d’engager des troupes en Libye, au Mali et en Centrafrique. Mais passons ! Moyennant quoi, quelque six mille hommes et de nombreux blindés russes ont été acheminés en Crimée. Et la Crimée russophone et russophile se sent déjà tellement rassurée et sûre de l’issue des événements que les rues de la capitale Simferopol se sont vidées de tout service de sécurité.
Mais le véritable rebondissement du jour est ailleurs. Non seulement Poutine s’autorise à faire intervenir l’armée russe en Ukraine mais il l’assume pleinement et crânement dans une conversation téléphonique d’une heure et demie qu’il a eue il y a tout juste quelques heures avec Obama. En effet, se sentant sans doute tout c… d’avoir provoqué l’ire du président russe par ses menaces de représailles de vendredi, le président des Etats-Unis a appelé son homologue russe. Sans doute espérait-il en tirer matière à se hausser du col en se présentant comme un faiseur de paix après avoir joint sa voix à celle des boutefeux européens. Mais, apparemment, il n’a pas pu s’empêcher d’user de termes belliqueux.
Pas de chance ! Poutine qui, apparemment, a bien entendu Churchill conseillant de tout faire pour éviter la guerre mais que, quand elle était là, il fallait la mener avec vigueur et détermination, a répondu que, non seulement son armée interviendrait mais qu’elle le ferait dans toute la partie orientale de l’Ukraine « pour défendre ses intérêts ». Pendant ce temps, Hollande demandait poliment à Poutine d’ « éviter tout recours à la force ». autrement dit, après avoir acheminé des milliers d’hommes en Ukraine, de rester l’arme au pied. Quant à l’UE, pour elle, apparemment, rien ne presse puisqu’elle a décidé d’une réunion… lundi ! Enfin, les Ukrainiens ont mis leur armée en alerte et… organisent des séances de prières sur la place Maïdan.
Depuis deux siècles, un adage conseillait à propos de la Russie de ne pas « réveiller l’Ours qui sommeille ». Manifestement, à l’instar de leurs prédécesseurs Napoléon et Hitler, les Occidentaux n’en ont pas tenu compte. Tout se passe comme si les bravaches universalistes qui veulent imposer leur modèle de société au monde entier s’étaient livrés à des provocations contre un Poutine haï et méprisé… qui n’attendait que ça. Ça fait penser aux prémices de la guerre de 1870 entre la France et la Prusse. Pour mémoire, c’est à propos d’une histoire de succession dynastique en Espagne que Napoléon III s’était mis le Kaiser Guillaume à dos à propos de la fameuse « dépêche d’Ems », laquelle avait été habilement rédigée par Bismarck de sorte à provoquer le clash entre les deux empereurs. Poussée à la guerre, la France y perdit l’Alsace et la Lorraine.
La géographie est intraitable.
Poutine, même si, contrairement au Chancelier de Prusse, il n’avait pas misé sur pareille aubaine, a tout lieu de se réjouir d’une situation qui lui offre l’occasion de corriger à l’avantage de la Russie les effets de l’éclatement de l’URSS. L’imprudence (l’impudence ?) des européens quant à l’implication du président de Russie dans les événements ukrainiens, leur persistance à faire de lui un dictateur est un tireur de ficelles mû pas le projet de déstabilisation de l’Ukraine, cette espèce d’arrogance dont ils sont coutumiers face à tous ceux qui ne pensent pas comme eux, se heurtent aujourd’hui à la détermination d’un homme puissant soutenu par son peuple et décidé à en profiter pour asseoir son influence géopolitique.
C’est ainsi que la Crimée, qui avait été donnée à l’Ukraine par Kroutchev en récompense des sacrifices qu’elle avait consentis face aux Nazis (huit millions de morts), cette Crimée offerte comme on offre une bague à une fiancée en gage d’union, a d’ores-et-déjà été reprise. Dans la foulée, la Russie, sûre du caractère velléitaire des menaces occidentales [1], va évidemment pousser son avantage et exiger des garanties pour les populations russophones de l’Est ukrainien, c’est-à-dire, les régions à populations d’origine slave. Cela concerne, en gros, les oblasti situés à l’Est du Dniepr, les plus peuplées, les plus industrialisées et les plus riches. En géopolitique, la géographie et l’Histoire sont intraitables.
Est-ce pour autant que Poutine va envahir l’Ukraine orientale ? (On ne parle même plus de la Crimée, qui est d’ores-et-déjà considérée par les « observateurs » et les « spécialistes » comme annexée). Evidemment, non ! [2] C’est à peu près passé inaperçu mais le représentant de la Russie au Conseil de sécurité des nations unies a proposé de constituer « un gouvernement d’unité nationale ». Les Ukrainiens qui, eux, ont tout intérêt à une solution et qui ne se font aucune illusion sur la capacité sinon la volonté des Occidentaux à les défendre face à l’ogre russe [3], y verront sans doute un moyen de sortir de l’impasse en sauvant la face. Cela se traduira probablement par une fédéralisation du pays avec un maintien du statut particulier de Kiev, capitale fédérale. Et on verra alors tous les va-t-en guerre courir, mus par un « lâche soulagement », au secours de la victoire. Il en est même qui proclameront qu’il ont fait plier Poutine en préservant « l’intégrité de l’Ukraine ».