Mon blog-notes du mardi 4 mars 2014.

    Cette semaine, un seul sujet: l’affaire Copé/Byglamion.

Copé ou la kleptocratie triomphante.

Copé

    J’ai rencontré Jean-François Copé à la fin des années quatre-vingt. Il était alors directeur adjoint de cabinet (ça existe) du patron de l’UMP Alain Juppé. Tout de suite, il m’a fait une très mauvaise impression, celle d’une tête à claque hautaine, méprisante, supérieure, imbue d’elle-même, caractéristique de ces professionnels de la politique qui, à peine sortis de l’école, rejoignent les cabinets ministériels après un court emploi fictif dans une entreprise liée à l’État. Par la suite, cette impression ne m’a jamais quitté, jusqu’à aujourd’hui où, pour la première fois, j’ai vu un Copé désarçonné, comme tombé des hauteurs où il se croyait intouchable. Mais ce qu’il a présenté comme une riposte n’est rien d’autre qu’un rideau de fumée cachant à peine des menaces de représailles. A l’encontre de qui ? A l’encontre des auteurs de l’article et de la presse en général mais pas seulement, comme on le verra plus loin.

    L’affaire Bygmalion-Copé est caractéristique d’un système où la réalité du pouvoir est ploutocratique et son apparence kleptocratique. Ce qui est valable pour l’Europe dans les états nouvellement admis l’est pour l’État dans sa gestion du pays : il s’agit, encore et toujours, sous tous les prétextes, de mobiliser des fonds publics au bénéfice de tiers. Ici, l’argent public généreusement dispensé aux partis politiques soit, en 2012, 465 millions d’€uros en France (132 en Allemagne), ce qui n’empêche pas le racket d’entreprises privées, notamment du bâtiment, de se perpétuer, est géré de telle sorte qu’il profite largement au personnel politique, à tout le personnel politique. Ce que les Français ne savent pas et qu’ils ont du mal à croire, c’est que les responsables de partis politiques à tous les niveaux sont rémunérés et, même, pour les plus en vue d’entre eux, le sont largement. C’est évidemment le cas des responsables au plus haut niveau et des membres des conseils nationaux. Ainsi, un Jean-François Copé cumule ses « indemnités » d’élu avec ses salaires de patron de l’UMP, comme le fait celui du PS ou des Verts ou du FN, etc. Et il gagne également environ 20 000 €uros par mois comme avocat… à mi-temps.

    On peut s’étonner, d’ailleurs, qu’il trouve encore le temps, avec ses multiples casquettes, de défendre ses clients, et s’interroger sur la qualité de cette défense. Mais ces questions sont de pure forme ; en réalité, cet emploi a tout d’une couverture permettant de percevoir des rémunérations parfaitement déconnectées de toute activité réelle mais à coup sûr liées à un service rendu. Une pratique répandue : Dominique de Villepin déclare quelque 1,3 million d’€uros (plus de 100 000 € nets par mois) de chiffre d’affaire alors qu’on ne lui connaît qu’un seul client : le Qatar. Plutôt que de promettre la publication des comptes de l’UMP, qui sont déjà connus et publiés au Journal officiel, Jean-François Copé devrait livrer la liste de ses clients. Je ne serais pas autrement étonné d’y retrouver, non seulement le Qatar, mais aussi des entreprises comme Veolia ou EDF. Ce dont on est sûr, c’est qu’il a œuvré au sein du cabinet d’affaires Gide Loyrette Nouel, l’un des plus importants de France, conseil de l’État dans le projet de fusion GDF-Suez au moment ou lui-même était ministre du budget.

    Mais revenons au débat en cours, une affaire que beaucoup font mine de découvrir alors que le Canard enchaîné et Médiapart en ont déjà largement parlé. La société Bygmalion captait 80% des 13 millions d’€uros dépensés, dans les années fastes, par l’UMP. Il se trouve que cette société a été créée par deux amis de Jean-François Copé, avec des fonds fournis par le Qatar (ils sont partout !), de surcroît associés avec lui dans son micro-parti politique. Cette curiosité du système français, dont près de trois-cents exemplaires émargent à l’aide publique, constitue une facilité que les politiques se font à eux-mêmes dans le dos des Français pour se gaver officiellement. Aujourd’hui, tout le monde fait mine de s’en offusquer. Que ne nous en aient-ils parlé plus tôt ?

    Mais ce n’est pas la seule bizarrerie d’une affaire qui en est pleine. On a pu voir, par exemple, les élus UMP gênés aux entournures et faisant mine de découvrir l’embrouille. Et tous de mimer le soutien a priori à Jean-François Copé, y compris François Fillon. Cinéma ! Ils savaient tous, ce, pour la bonne raison qu’ils en croquent tous. Le trésorier de l’UMP, un fillionniste, a attendu l’automne 2012 pour démissionner. Fillon lui-même ne pouvait donc pas ignorer ce qui se passait ; il ne s’en est jamais plaint. Pas plus que Sarkozy, qu’on présente aujourd’hui comme une victime des magouilles de l’équipe Copé. Lui aussi savait et tous ses amis avec lui. Encore une fois, parce qu’il s’agit d’un système parfaitement rôdé qui permet de « sortir » de l’argent des comptes de l’UMP. Comment ? Via Bygmalion, une entreprise privée qui, dès lors qu’elle ne se met pas en contradiction avec les règles fiscales et sociales, peut faire ce qu’elle veut de son argent.

    Cet argent, d’où vient-il ? Des caisses publiques pour plus de 95%. En effet, l’essentiel des finances des partis provient de l’aide publique et des cotisations des élus. Les cotisations d’adhérents et les dons complètent. Des cotisations et des dons, y compris des élus, qui donnent droit à crédit d’impôt. Autrement dit, quand vous donnez 100 €, le contribuable en est de 66 € de sa poche. Y compris quand, sous prétexte de sarkhoton, il s’agit de boucher un trou provoqué par les magouilles des dirigeants de l’UMP eux-mêmes. C’est ainsi que l’Etat remboursera cette année environ 7,5 millions des 11 millions collectés à cette occasion. A se cogner la tête contre les murs ! Avec le système en vigueur de financement des partis, ceux-ci ont tout intérêt à gonfler au maximum la note. Je me souviens d’avoir vu Jacques Cheminade, candidat professionnel aux présidentielles, déclarer 400 € par jour la location d’une Peugeot 407 (!). La fameuse « surfacturation » n’a donc rien d’exceptionnel et, surtout, j’insiste sur cet aspect, n’est en rien un secret pour les pontes de l’UMP. Ni, d’ailleurs, pour les médias et pour les « spécialistes » de la vie publique qui nous enfument à longueur de journée et dont, quand on connaît un peu les rouages de la sordide pièce qu’on nous joue, on s’amuse à observer les efforts pour gloser gravement à grands coups de questions dont ils ont toutes les réponses.

JB Milliot                                                                                                   B. Millot, co-fondateur de Bygmalion (Lire dans le Point Affaire Copé : les casseroles de Bygmalion

    Car, et c’est un autre aspect de l’affaire qui ne saute pas aux yeux des Français, TOUT le monde fait semblant de découvrir ce que TOUT le monde savait : une entreprise de surfacturation de prestations par une société amie du président de l’UMP aux dépens de son propre parti et de Nicolas Sarkozy. On vient d’expliquer en quoi cet intitulé est entièrement faux puisqu’il s’agit d’une entreprise de détournement de fonds publics opérée par une société-lessiveuse au détriment des contribuables français et au profit de leurs élites corrompues. Une affaire rendue possible grâce à la complicité ou, au minimum, à la complaisance des médias français. Et pas seulement parce que l’un des fondateurs de Bygmalion n’est autre que Bastien Millot, ex-dircab du ministre Copé, devenu un pilier du service public puis privé de radiotélévision[1], tout en enseignant à Sciences Po et à l’Université Paris II (Ouf !). Copé a raison sur un point : Franz-Olivier Giesbert, le directeur de l’hebdo (qui n’a pas divulgué mais mis en lumière une affaire dont je répète que tout le landerneau politico-médiatique connaissait les détails) est un parfait tartuffe. Et un tartuffe intéressé. Son journal, comme toute la grande et petite presse française, est partie prenante d’un système dont il tire une partie de ses revenus. Mais, surtout, Franz-Olivier-Gisbert lui-même, qui dirige le Point après être passé par le Nouvel Obs et le Figaro, ce qui prouve qu’il n’est pas sectaire, est, à titre personnel, gâté par le système. Il produit et présente Les grandes questions sur France 5 et Le monde d’après sur France 3, deux émissions aussi nulles que les précédentes et vouées au même sort[2]. Et il est un des deux donneurs de leçons de l’émission mensuelle de Pujadas, Des paroles et des actes, sur France 2. Le Point a présenté l’affaire comme une escroquerie interne à l’UMP ; aussitôt, tous les médias ont suivi sans qu’aucun ne se risque à l’analyser sous l’angle du détournement de fonds publics, même si l’envie en titille probablement certains éditorialistes. Il est vrai que leurs journaux ont, en 2012, bénéficié de 1 200 millions d’€ d’aides directes dont le Monde :  18,6 millions d’€uros, le Figaro : 18,2, Ouest-France : 11,9, La Croix : 10,7, Télérama : 10,3, Libération : 10, L’Express : 7,2 ; etc. 

    Pourquoi, me direz-vous, l’opposition ne va-t-elle pas sur ce terrain ? Réponse : parce qu’elle procède exactement de la même façon que l’UMP. Y compris, en partie, le Front national. Les finances du FN sont directement gérées par une association de financement de parti politique contrôlée par Jean-Marie Le Pen lui-même. Je doute qu’il se risque aux pratiques délictueuses de Copé et de son équipe car la bien-pensance universelle, toujours prête à distribuer des indulgences à ses ouailles mais soucieuse de morale publique quand il s’agit des autres, se jetterait aussitôt sur le FN s’il s’avisait de lui en donner l’occasion. Mais une chose est sûre : ses dirigeants ne sont pas malheureux, notamment son vice-président gaulliste Florian Philippot, qui gagnerait, selon les sources, un salaire proche de 20 000 €uros mensuels. Il serait intéressant que Marine nous en dise plus.

    Alors, quand Jean-François Copé, propose une loi forçant les partis à publier leurs comptes, ce qui, en soi, ne répond absolument pas aux questions timidement posées, il se ridiculise mais il joue sur du velours. Les vraies questions ne seront jamais posées, ni par ses adversaires politiques ni par les médias complices. Et il n’y a pas de danger que le gouvernement ou les assemblées élues, qui en ont le pouvoir, demandent une enquête.


[1] Grâce à quoi Bygmalion a bénéficié des largesses de Patrick de Carolis (1,5 M€ de commande de « conseil ») dans le cadre de son opération scandaleuse et dispendieuse de réforme du service public de télévision soldée par un fiasco. A noter que cette page de son CV a disparu de sa fiche Wikipédia.[2] Jaloux de Drucker, il vient d’obtenir qu’un de ses bouquins soit porté à l’écran et diffusé par la chaîne..

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