« Chacun tient ses chiens ! » (Proverbe kabyle)
Ainsi qu’en témoignent les articles publiés ici-même sur la question ukrainienne, je suis convaincu de la bonne foi de Vladimir Poutine sur la question ukrainienne. Evidemment, je ne renie rien de ce que j’ai écrit et je pense toujours que les lobbies cosmopolitistes européens et américains ont instrumentalisé la révolte des Ukrainiens contre leur despote corrompu pour régler leurs comptes avec Poutine. Et je crois toujours que c’est son intransigeance face à leurs offensives contre la civilisation occidentale qu’ils veulent lui faire payer. Enfin, je reste convaincu que, s’ils avaient laissé les Ukrainiens régler ça eux-mêmes au lieu de s’arroger le droit de parler en leur nom, la situation ne serait pas ce qu’elle est.
Il n’en reste pas moins que, à l’heure tardive où j’écris, l’Europe est à deux doigts d’assister à ses frontières à une guerre dans laquelle elle aura des responsabilités. Au vu des images télé, il y a lieu de croire que les hommes armés qui investissent spontanément ou sur ordre les administrations de Lougansk, Donetsk, Kharkov, Jdanovka, etc. sont à coup sûr des boutefeux Russes qui se croient tout permis. Or, les données ne sont pas les mêmes qu’en Crimée. Les régions ici concernées sont ukrainiennes. Quoique nombreux, les Russes y sont minoritaires. Donc, s’il est naturel que Vladimir Poutine s’inquiète pour eux et s’il est de son devoir de les défendre, cela ne lui donne aucune légitimité pour exiger un chamboulement constitutionnel de l’Ukraine, encore moins s’il doit déboucher sur une partition.
La tentation des Sudètes
J’ai encore du mal à croire que le Président de Russie ait perdu tout sens de la mesure au point d’opter pour une « solution » riche de menaces, sinon pour le présent immédiat, en tout cas pour l’avenir. C’est pourtant ce que toute la sphère politico-médiatique croit ou fait mine de croire. Si c’était le cas, si Vladimir Poutine prenait prétexte de l’agitation organisée par une poignée de minoritaires russes pour imposer une partition, ou, pire, si, tel un vulgaire Hitler, il reproduisait le coup des Sudètes, il commettrait un crime, une faute et une erreur.
Crime contre la paix, bien sûr car, si les Ukrainiens et les Occidentaux renonçaient à réagir militairement, ce ne serait que partie remise car les premiers auraient leur Alsace-Lorraine et les seconds leur Munich. L’Europe et les Etats-Unis, après avoir poussé au conflit, sont tout à fait capables de trouver des prétextes à ne pas réagir mais on assisterait à une nouvelle guerre froide ou, si on préfère, à une paix armée ; une sorte de « paix allemande » d’avant 14 dont Clémenceau disait qu’elle était « comme la bonne santé : un état précaire qui n’annonce rien de bon ! »
Faute politique, aussi, car, si l’obsession de Vladimir Poutine est bien d’empêcher les anciennes « républiques socialistes soviétiques » d’entrer dans le giron européen et dans l’OTAN, ce n’est pas en martyrisant la plus grande d’entre elles, de surcroît la plus proche à tous points de vue de la Russie, qu’il y parviendra.
Erreur personnelle, enfin, car, donner raison aux médias occidentaux qui le présentent comme un potentat aveuglé par sa volonté de puissance alors qu’il a déjà fait la preuve de celle-ci et qu’il pourrait se montrer sous le meilleur jour serait perdre une formidable occasion de dorer son image internationale.
« Parcere subjectis et debellare superbos ! »
Au fond, Vladimir Poutine est en position de force. De ce fait, il pourrait méditer et appliquer le conseil de Virgile (dans l’Enéide) : « parcere subjectis et debellare superbos » (« épargner les vaincus et abattre les orgueilleux »), dont Churchill a fait une ligne de conduite. Après avoir montré sa puissance et récupéré sans coup férir la Crimée, il doit composer avec les Ukrainiens, dans son intérêt et celui de la Russie. Saisir au bond la proposition du président ukrainien d’organiser un référendum sur la fédéralisation de l’Ukraine serait pour lui le meilleur moyen d’obtenir ce qu’il désire sans apparaître comme « l’ogre » russe dont les médias se gargarisent. A coup sûr, il sauverait la paix contre ceux-là même qui l’accusent de vouloir la guerre ; il ménagerait l’avenir de son pays car la Russie n’a aucun intérêt, ni politique ni économique ni moral à sortir du chœur des Nations ; et il servirait sa propre gloire. Mieux, il ne serait pas loin de se rendre populaire (j’ose le mot) en Ukraine même et chez ses voisins s’il se contentait d’une fédération a minima.
Pour que cela soit possible, il conviendrait que chacun tienne ses chiens. Les Ukrainiens l’ont fait taire les plus extrémistes de leur camp ; il leur reste à demander aux Occidentaux de ne plus souffler sur la braise. Quant au Président de Russie, il devrait commander à ses gros bras de Donetsk, Kharkov, Jdanovka, Lougansk, etc., de rentrer dans leurs foyers.