Prix Goncourt : Daoud repart bredouille.

Meursault, contre-enquête ne trompe pas les Goncourt.

images                                                                                                 Camus, le Piénoir.

    La semaine dernière, figurez-vous que j’ai passé plusieurs jours dans l’angoisse. A cause du Prix Goncourt.[1] Tout ça parce que le favori en était le journaliste algérien Kamel Daoud. « M…, me disais-je familièrement, nos élites intellectuelles pousseront-elles la servilité et le goût pour la repentance jusqu’à récompenser un fellagha assumé et revendiqué qui a le culot de se servir de notre grand Camus pour régler ses comptes avec la puissance coloniale honnie et pourtant adorée (au sens premier du terme) ? » Comme chacun sait, mes craintes étaient infondées. Mais reconnaissez qu’on n’est pas passé loin de la forfaiture. Toute la semaine, les médias avaient bruissé de la rumeur selon laquelle le prix était acquis à Daoud. Total, il est reparti chez lui la besace vide, non sans proclamer partout qu’il n’était candidat à rien.

    Alors, les lecteurs qui ne sauraient pas qui est ce Daoud et ceux qui auraient oublié Camus se demanderont sur quoi reposaient mes craintes. Après tout, se disent-ils renseignement pris, ce journaliste algérien qui écrit en Français dans un quotidien francophone et qui prend tellement de recul avec la religion officielle de son pays paraît très francophile et parfaitement franco-compatible. Et, après tout, se disent-ils encore, il a bien le droit d’imaginer une suite à l’Étranger. C’est juste un hommage rendu à Camus. Et tout cette sorte de choses. Oui, leur réponds-je, sauf que rien là-dedans n’est anodin.

    D’abord, Kamel Daoud est, comme tous les intellectuels algériens, un adepte de la repentance… pour la France. Dans mon article Mandela algérien : le mail de René Mayer à Kamel Daoud publié le 23 décembre 2013 (lire), j’écrivais : « […] le fond idéologique – et mythologique – d’une Algérie « redevenue » indépendante grâce au combat de son peuple uni derrière ses chefs contre le colonialisme et ses « valets » (tous les Musulmans opposées à l’indépendance de l’Algérie et qu’on désigne communément sous le terme générique de « Harkis ») reste le même ; un tabou solidement ancré dans l’esprit des Algériens et qu’aucune des composantes sociopolitiques de l’opposition intérieure au FLN  ne va jusqu’à remettre en cause. » Kamel Daoud pas plus que les autres. Comme tous les intellectuels algériens, il aime non pas la France, celle qui a vaincu les terroristes du FLN, mais une certaine France, celle qui a vendu l’Algérie à une clique de voyous. Une France haineuse d’elle-même au point de fêter (comme à Montreuil le 1er novembre dernier) ses défaites et ses reniements. Encore s’ils étaient capables d’aller jusqu’au bout de leur logique en ayant la dignité de ne plus rien devoir à cette France honnie et méprisée ! Certains sont dans ce cas ; pas Kamel Daoud qui, comme beaucoup d’intellectuels algériens, vient chercher chez l’ancienne puissance coloniale le bien-être et les honneurs inaccessibles chez lui.

    Sur le fond, tout ce que j’ai lu sur le livre de Daoud, Meursault, contre-enquête, est biaisé. Le propos de l’auteur est, selon ce qui en a été écrit (je ne l’ai pas lu et ne le lirai pas) est de « donner un nom à « l’Arabe » que Meursault tue dans l’Étranger. Selon l’auteur, le fait pour Camus de ne pas avoir nommé son personnage montre tout son mépris pour « les » Arabes ! En lui donnant un nom, une famille, une fratrie, Daoud lui aurait rendu une dignité, une humanité dont Camus l’aurait privé. Cela s’appelle un procès d’intention. Sans faire l’exégèse de l’Etranger[2], il est évident que la seule raison pour laquelle Camus ne nomme pas « l’Arabe » est que ce personnage n’a aucun intérêt. Le meurtre lui-même relève du fait divers et n’a d’autre objet que d’amener son auteur devant la Justice[3]. D’ailleurs, bien d’autres personnages européens du roman n’ont pas de nom : le concierge et le directeur de l’asile où la mère de Meursault est reléguée, le juge d’instruction, l’avocat ; faut-il s’attendre à la publication d’autant de romans destinés à rendre leur dignité à ces respectables corporations ? D’ailleurs, Meursault lui-même n’est que très rarement nommé et on ne lui connaît pas de prénom.

    Un procès d’intention qui tombe à point nommé pour justifier le parti-pris de Kamel Daoud de présenter un Haroun – le frère de « l’Arabe » de Camus, qu’il baptise Moussa – non pas revanchard, ce qui eût été par trop mesquin, mais vengeur. Présenter le Meursault de Camus en figure du « colon » confiscateur et exploiteur lui permet de mettre en scène un Haroun « moudjahid » au service de la dignité de son peuple. En réalité, ce n’est là rien de plus qu’un travestissement, une manœuvre grossière pour faire passer le phantasme assassin d’un enfant de fellagha haineux qui cherche encore à chasser ses doutes sur la légitimité de l’indépendance algérienne et sur ce que sa génération en a fait.

    En lui refusant le prix, je veux croire que les Goncourt lui ont signifié qu’ils n’avaient pas apprécié d’être pris pour des c… Et pas assez naïfs pour se laisser prendre à ce piège grossier tendu par les révisionnistes de l’Histoire avec la complaisance lourdingue de nos médias aux ordres des porteurs de valises. Du coup, Kamel Daoud n’a eu aucun prix et c’est bien fait !



[1] Que je ne lis jamais par anti-moutonnisme militant. Et aussi, parce que j’ai encore un retard de lecture d’au moins trois mille chefs-d’œuvre, dont presque tout Virgile.

[2] Une histoire de coup de soleil à mille lieues de La chute. Un roman à la réputation surfaite mais très caractéristique d’une époque férue de psychologisme et portée sur la masturbation intellectuelle.

[3] Où Camus convoque Meursault afin qu’il y soit puni pour ne pas avoir pleuré la mort de sa mère, ce qui constitue une infraction grave aux conventions sociales. Son vrai crime est le crime d’impiété au sens antique du terme, comme pour Socrate.

Ce contenu a été publié dans Non classé. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *