Décidément, ce périple se révèle plein d’embûches. Mais, à l’exception de celle de Valence, que je vous raconte ci-dessous, ce sont surtout des contrariétés d’ordre technique qui l’ont perturbé et empêché d’en rendre compte au jour le jour.
Valence : l’accident
Quasimodo de Valence
Parti guilleret et joyeux de Roybon, c’est dans l’euphorie que je dévalai les 64 kilomètres qui le séparent de Valence. Mais, arrivé là, après quelques kilomètres d’errance à suivre des panneaux signalétiques qui me ramenaient systématiquement sur les grands axes et les voies de délestage, mon humeur avait viré au noir. Je vous le dis comme je le pense : je hais les DDE et leurs ingénieurs préposés au balisage des routes. Autour de Valence, pas un panneau ne permet au cycliste d’aller directement au centre-ville, par le plus court chemin, sans être acheminé malgré lui vers les rocades, les quatre-voies et autres périphériques. Tout est conçu pour les voitures et tout est fait pour envoyer malgré lui le voyageur là où un technocrate assis sur son cul – et, soit dit au passage, payé au kilomètre de voierie et de ronds-points – veut l’envoyer. Et, quand ce n’est pas en direction d’une autoroute payante qu’on vous signale cinquante kilomètres à l’avance, c’est immanquablement vers une rocade. Maudites DDE ! Pour m’en venger, voici une devinette qu’on pose dans les entreprises privées de travaux publics. Question : à quoi reconnaît-on un camion de la DDE ? Réponse : la cabine est aussi grande que la benne !
Le carrousel commença bien avant Valence. Je parcourus sans le vouloir bien plus de kilomètres que ce qu’indiquait ma carte. Mais surtout, dès Bourg-les-Valence, je me retrouvai sur une quatre-voie que j’eus bien de ma peine à quitter. Y ayant réussi une première fois, je fus embringué dans une zone industrielle d’où j’eus toutes les peines à sortir. En pure perte puisque ce fut de nouveau pour la quatre-voie. Le manège se répéta deux fois. A la troisième, je fus tout heureux, alors que les automobilistes filant à cent-dix km/h me clacksonnaient d’impatience, de trouver moyen d’en sortir pour une route parallèle, sans doute celle d’avant la construction de la rocade et que j’aurais bien voulu prendre dès le début. Me croyant sorti d’affaire, je passai les plots qui en délimitaient l’accès et m’y engageai résolument. Mal m’en prit !
Trente mètre plus loin, une barrière blanche, invisible sous soleil, la barrait sans préavis. J’arrivai dessus à près de quarante kilomètres à l’heure et ne pus que freiner légèrement sans l’éviter. Je l’atteignis un peu de travers et passai par-dessus dans une sorte de saut renversé, comme un cheval qui rate une haie, et tombai sur le dos. Mon sac amortit ma chute mais mes chaussures, anormalement, ne se dégagèrent pas des pédales look de mon vélo. Celui-ci bascula à ma suite et me tomba dessus. Je le pris en pleine face.
Tous cela se déroula dans la plus totale conscience, sans que j’éprouve aucune panique ni appréhension d’aucune sorte. Je vivais chaque séquence de la chute comme un observateur étranger. Allongé sur le dos avec mon vélo sur moi, je pris quelques secondes pour faire le point. Apparemment, ma tête n’avait pas porté et je ne ressentais aucune douleur musculaire. Seules une sensation d’écoulement au niveau du front et une gêne à la lèvre me firent comprendre que je saignai de l’un et que l’autre avait été touchée. Tout de suite, je pensai au vélo. Je me redressai, le posai contre l’obstacle inopiné que je venais de franchir malgré moi, et me mis à l’inspecter. Rien ! Il n’avait rien. Je fus rassuré car cela voulait dire que mon périple n’était pas fini.
Ayant repris mes esprits, je fais signe à la première voiture qui passait …et ne s’arrête pas. Au contraire de la suivante. Un homme jeune en sort côté passager. Il vient résolument vers moi et se met à me poser des questions de professionnel tout en tâtant mon visage. Il est infirmier. Sa femme aussi qui, lâchant son volant, appelle immédiatement les pompiers, car, dit-elle à son mari, la veille, le SAMU avait été un peu lent. Bonne pioche ! Le camion de pompiers arrive moins d’un quart d’heure après. En sautent trois jeunes sportifs qui prennent immédiatement la relève des infirmiers. Bref ! Je suis entre de bonnes mains.
Quitter ses sauveteurs comme ça, à la sauvette, fait un peu mal au coeur. On a l’impression de ne pas être à la hauteur. Il faut pourtant y aller. Un mille merci et un au revoir et le camion rouge démarre. Tandis que l’un des pompiers refait l’examen de mon visage et me pose les questions d’usage, un autre, cycliste comme moi, me fait des compliments sur le vélo et sur mon parcours. Mon front est largement égratigné et saigne beaucoup mais c’est superficiel. On est plus inquiet pour la lèvre supérieure, qui a éclaté et nécessite des points de suture. Dans le choc, j’ai perdu un morceau de canine et ma gencive est douloureuse. Mais c’est très supportable. Aux urgences de l’hôpital, je n’ai pas besoin d’expliquer ce que je fais : les pompiers s’en chargent. On range mon vélo en lieu sûr et l’attente commence. Evidemment, alors que je suis sensé être pris en main dans la demi-heure, elle dure plus de deux heures.
J’assiste à une algarade entre un patient impatient, genre gros mec de banlieue à barbe ostentatoire, et une infirmière qui lui posait des questions sur sa douleur. Sa fatma, mignonne comme tout et dont on se demande ce qu’elle fait avec ce connard, se prend une volée de bois vert sous prétexte qu’elle lui a demandé de se calmer. Arrive ensuite une jeune femme frêle, mignonne elle aussi mais osseuse comme un mannequin anglais, qui souffre atrocement de la main. Lorsque je lui demande ce qu’elle a, elle éclate en sanglots et m’explique qu’elle s’est brûlé la main avec …de la cire à épiler ! Et ça dure comme ça pendant plus de deux heures.
Entre-temps, je vois arriver deux gendarmes. C’est moi qu’ils cherchent. L’un deux est un petit maigre du genre sévère et teigneux. Le second et un grand mec baraqué à l’air jovial et sympathique. On croirait que le premier lui a délégué tout son capital de sympathie. A en juger par ses barrettes, c’est un officier. Avec un air de ne pas y toucher, il m’interroge sur les circonstances de l’accident, et il note mes réponses. Je remarque vite dans la main de son acolyte/subordonné à l’air teigneux un truc avec tube que j’identifie comme un détecteur d’alcoolémie. Je n’en crois pas mes yeux : ils viennent me faire souffler dans le ballon ! Comme ils ne s’empressent pas de me le demander, je le suggère moi-même et m’exécute. Je sors triomphant de l’épreuve car, me dit l’officier d’un ton soulagé (alors que son compère, lui, semble penser : « M…, encore raté ! »), le test est négatif. C’est la première fois que je souffle dans un ballon. Si on m’avait dit que ce serait dans ces circonstances…
Recousu, revacciné, retapé et le front décoré d’un pansement qui n’avait de pansement que le nom, je suis sorti des urgences à la nuit tombante. On m’avait indiqué un hôtel en face de l’hôpital. Un coup d’oeil jeté à la ronde me dit vite qu’il n’y en pas l’ombre d’un. Je décidai donc de dévaler les rues en direction de la N7, en direction de Montélimar, jusqu’à en trouver un. Les deux premiers étant très au-dessus de mes moyens, je finis par en trouver un abordable à six kilomètres de Valence. Là, je déballai mon ordinateur, le branchai, et constatai qu’il était out. Ainsi, le sac m’avait sauvé, j’avais sauvé le vélo mais l’ordi avait morflé. Une fois de plus, j’étais dans l’incapacité de tenir mon blog.
Bon vent ! Ton article est d’une grande finesse