Jean-Marc Ayrault veut « mettre à plat la fiscalité ». Part. 1

    La Gauche au pouvoir ne manque pas d’imagination, quand il s’agit de bourrer le mou des Français. Et elle ne recule devant rien. La question fiscale est de celles qui méritent un peu de respect ; c’est pourquoi je soumets ces réflexions un peu graves aux lecteurs qui voudront bien se confronter à un article un peu long. (La suite, demain, vendredi)

Réforme de la fiscalité : écran de fumée !

JM_Ayrault

    Jean-Marc Ayrault veut « mettre à plat la fiscalité ». Et il commence par consulter les « partenaires sociaux ». A soi seul, cette initiative démontre qu’il ne s’agit de rien d’autre que d’un nième rideau de fumée destiné, avec la complicité de médias aux ordres, à faire oublier le fiasco de la politique socialiste. En effet, la fiscalité, qui est l’art de déshabiller Pierre pour habiller Paul, est le domaine régalien par excellence. Consulter les Français avant d’en décider est une absurdité. Mais faisons mine d’y croire et tâchons d’apporter notre modeste pierre à l’édifice commun.

Etat des lieux.

    Les prélèvements fiscaux se répartissent en quatre catégories : les impôts et taxes sur les revenus des personnes physiques (IRPP), des entreprises (IS) et du patrimoine (impôts et taxes sur les dividendes, les revenus mobiliers et immobiliers) ; ceux qui frappent la production (contribution économique territoriale, ex taxe professionnelle) ; ceux qui concernent la consommation (TVA, TIPP, droits sur le tabac, les alcools, les jeux, etc.) et ceux qui grèvent le patrimoine (impôts et taxes sur les successions et sur les plus values de cessions mobilières et immobilières, impôt de solidarité sur la fortune ou ISF, taxes foncières des ménages). S’y ajoutent nombre de taxes à la logique plus ou moins claire ou absconse et à la destination problématique dont certaines relèvent de l’usage d’un service public (taxe d’habitation, taxe d’enlèvement des ordures ménagères et taxe d’assainissement, taxe sur certaines fournitures d’électricité, droits d’enregistrement d’actes officiels, droit d’immatriculation) ou de la solidarité nationale (contributions de solidarité pour l’autonomie des handicapés ou profit du fonds de solidarité emploi ou vieillesse, taxe sur les mutuelles destinée au financement de la CMU), et d’autres relèvent du racket et du détournement pur et simple du principe de contribution ; ce sont les diverses taxes qui frappent apparemment la production et, en réalité, sont supportées par les consommateurs et les usagers car elles sont répercutées sur les prix : parmi d’autres, la taxe sur le service public de l’électricité, sur les contrats d’assurance, etc.

    L’usage fait de certaines de ces taxes et leur destination sont plus qu’opaques donc douteux. On ne voit pas bien, par exemple, la logique du financement des collectivités territoriales par une taxe sur les contrats d’assurance (3,2 Mds€) acquittée par les assurés. On voit moins encore, mais on comprend très bien quand on sait comment certains services publics servent d’intermédiaire au racket fiscal, pourquoi ce serait aux usagers d’EDF de financer la politique d’aide à l’éolien ou au photovoltaïque, qui est censée être d’intérêt général et de portée nationale, c’est à dire regardant l’ensemble des citoyens, et qui devrait, en toute logique, être financée sur le budget général. Une politique qui, accessoirement, permet à certains amis du pouvoir de se gaver. Et on est carrément scandalisé de savoir que chacun d’entre nous paie 1% de sa facture d’électricité (680 M€ par an au total) pour financer l’ultra riche comité d’entreprise d’EDF.

    Viennent ensuite les impôts et taxes sans aucune logique autre que celle de boucher des trous budgétaires dont certains, très copieux et coûteux pour les citoyens, révèlent au grand jour l’emprise croisée et réciproque exercée par la politique et les milieux économiques les uns sur les autres. Ce sont les prélèvements exceptionnels ou permanents sur tel ou tels opérateurs économiques privés comme, par exemple, les banques, les laboratoires pharmaceutiques ou la téléphonie. Il est à noter que ceux ci ne s’en plaignent jamais. Et pour cause : c’est la contrepartie d’une liberté qui permet à ces trois secteurs de réaliser des taux de rentabilité nets de 15 à 20% (supérieurs à ceux de l’industrie du luxe) en s’entendant au delà de toute décence, malgré les efforts d’une Justice souvent débordée pour leur faire respecter les règles de concurrence ou de simple éthique professionnelle. Du reste, les prélèvements exceptionnels de l’Etat sur ces activités sont immédiatement répercutés sur leurs tarifs et, au bout du compte, supportés par les usagers ou la Sécurité sociale, donc les mêmes à titre de cotisants. Ce sont encore certains prélèvements révélateurs d’une dérive féodale de l’administration du territoire national. Ce sont les impôts sur le patrimoine foncier, immobilier et industriel ; ils ont une influence négative sur l’investissement et l’activité et se caractérisent par une concurrence exacerbée des territoires entre eux, contribuant ainsi aux inégalités. Ce sont les impôts locaux, qui frappent le patrimoine des ménages (taxe foncière, la taxe d’habitation étant considérée comme un droit d’usage) ou celui des entreprises (contribution économique territoriale, ex taxe professionnelle) qui n’existent pas en Allemagne, par exemple. D’autres enfin sont d’essence idéologique et reflètent une vision conflictuelle des rapports sociaux : c’est le cas de l’ISF.

    Ainsi, les ressources de l’État sont multiples et variées. Certaines sont utiles, efficaces, rentables, économiquement neutres ou même dynamiques. D’autres sont inutiles, inefficaces, peu rentables et émollientes, voire pesantes pour l’économie. D’autres encore constituent ce qu’on appelait jadis des « expédients ». Quelquefois à la limite de la légalité, souvent arbitraires, elles ne reposent sur aucune logique ni aucune vision à long terme. C’est le cas, par exemple, de la taxation provisoire de certains secteurs de l’économie. Pour son premier budget, le gouvernement Ayrault a notamment annoncé une contribution exceptionnelle des contribuables assujettis à l’ISF et des prélèvements sur les secteurs bancaires et pétroliers. Ces nouvelles taxes sont particulièrement faux cul car les banquiers et les pétroliers ne manqueront pas de la répercuter sur la facture finalement acquittée par les clients.[…]

    En 2011, l’État tentaculaire absorbait 42,5%, (43,7% en 2011) des ressources de la Nation soit 4,1 points de plus que la moyenne de l’Union européenne (38,4%) et 4,4 de plus que celui de l’Allemagne (38,1%). En réalité, ce taux est de beaucoup supérieur car l’imbrication des opérateurs privés et publics dans l’économie dite mixte brouille les cartes. Par ailleurs, beaucoup de services publics surfacturent leurs prestations et constituent, en réalité, des pompes à finances pour l’État. Voir les marges exorbitantes des trois opérateurs dits « historiques » de la téléphonie ou les augmentations erratiques du prix de l’énergie. S’agissant d’EDF, la contribution au service public de l’électricité (CSPE), d’un montant de 3,5 Mds€ en 2011, est entièrement acquittés par les usagers (en moyenne, 115 € par abonné en 2011. Son montant, de 90 € en 2010, est porté à 143 € en 2012, soit une augmentation de près de 60% en 2 ans !). Elle finance essentiellement ce choix politique contestable mais pas étonnant quand on en connaît les bénéficiaires, qu’est le rachat pour un montant de 1,44 Mds€ d’énergies renouvelables (photovoltaïque : 0,9 Md€, éolien : 0,4 Md€) produites en métropole continentale par des opérateurs privés avec du matériel (pour les panneaux photovoltaïques) utilisant des terres rares et très majoritaire ment assemblé… en Chine. Vient ensuite la péréquation tarifaire, dont le surcoût de production des énergies renouvelables, dans les zones non interconnectées pour 1,19 Md€. Les tarifs sociaux de fourniture d’électricité n’entrent que pour 34 M€, soit 1% de la dé pense couverte par cette taxe. Des pratiques qui, est il utile de le préciser, ne font l’objet d’aucune explication de la part des pouvoirs ou des services publics.

    Financées par le cumul des prélèvements et des emprunts, les dépenses comparées de la France et de l’Allemagne telles qu’elles apparaissaient aux bilans de l’exercice 2011 atteignaient respectivement 55,8 et 45,3% du PIB, soit 10,5 points de plus en France. Là où le bât blesse particulièrement, c’est que leur répartition pèse d’abord et pour l’essentiel sur nos entreprises asservies au territoire et beaucoup sur les classes moyennes actives et détentrices de patrimoine. Les taxes sur la production sont plus de treize fois et demie supérieures en France qu’en Allemagne, dix-neuf fois en pourcentage de leurs PIB respectifs (26,5 Mds€ soit 1,56% du PIB contre 2,04 Mds€ et 0,08%), et la fiscalité du patrimoine, près de trois fois (73 Mds€ soit 3,4% du PIB en France contre 25,5 Mds€, soit 0,85%, en Allemagne).

Une fiscalité passoire

Un rapport de Gilles Carraz, rapporteur du budget, a montré que, pour la période 2007-2009, les entreprises du CAC 40 ont payé 10,5 Mds€ d’impôt sur les société (IS), soit 3,5 Mds€ par an, ou 7% du total payé en France. C’est une moyenne car, dans la réalité, 40% de cette somme a été réglée par des entreprises où l’Etat a encore son mot à dire : EDF, GDF, France Télécom et Renault. Les trente six autres entreprises ont payé en moyenne 3,3% d’IS.

Quatre d’entre elles n’en ont payé aucun. Après application du crédit impôt recherche, ce ne sont plus quatre mais dix sept d’entre elles qui n’acquittent aucun impôt au titre de l’IS, voire, pour certaines, ont droit à une créance sur le fisc ! Si elles avaient été imposées au taux « normal », celui qui s’applique à la PME ou au boucher du coin, elles au raient contribué à hauteur de 17,5 Mds€, soit 14 Mds€ de plus. D’autres moyens légaux mais, pour certains d’entre eux, appliqués de manière très discutable, permettent à l’ensemble des entreprises de faire des économies d’impôts de l’ordre de 120 Mds€ en 2010 au seul titre de l’impôt sur les sociétés[1]. La somme des réductions d’impôts autorisées ramène son rendement réel à 7,2%. Mais, tandis que les entreprises petites ou moyennes réglaient 33,33% ou guère moins, les plus grosses hors contrôle de l’État n’acquittaient que 3,3%. Autrement dit, l’État aurait très bien pu, en 2010, obtenir ses 33 Mds€ de rentrées fiscales au titre de IS en se montrant juste, c’est à dire en appliquant un taux nominal de… 7,2% à tous, sans réductions anarchiques et ciblées !

    S’agissant des particuliers, il existe toute une palette de moyens « d’optimisation des revenus », selon la formule à la mode, pour ne pas dire « d’échappatoires à l’impôt », moins sexy. Tous sont pourvus d’une belle justification économique ou morale, en réalité un alibi. Et tous produisent, en plus de la discrimination fiscale et de la rupture d’égalité devant l’impôt qui leur sont consubstantiels, des effets pervers sur lesquels on s’abstient généralement de s’étendre, et qui, pour certains, ne sont pas que de nature économique. C’est le cas, par exemple, des prix de l’immobilier ou des travaux d’économie d’énergie, qui s’élèvent à proportion des aides de l’État. Beaucoup de moyens d’échapper à l’impôt concernent l’investissement dans l’immobilier d’entreprise ou l’immobilier locatif. Les plus rentables ont le « développement » de l’Outremer comme alibi et concernent les DOM TOM. Ceux ci à eux seuls « bénéficient » de 3,34 md€ de « dépenses fiscales » de l’État, dont 1,38 md€ pour le seul dispositif Girardin, lequel ouvre droit à des économies d’impôts importantes pour tout résident investissant dans l’immobilier locatif. Son avatar, le Girardin industriel, autorise une réduction d’impôt égale à 50% du montant des investissements ; il est conçu de telle sorte qu’il permette de gommer la totalité des impôts d’un contribuable, voire de générer une créance sur le fisc. De nombreuses vedettes du microcosme politico médiatico économique, dont certaines avaient participé à la conception et à la mise en œuvre de la loi, en usent pour réaliser des économies d’impôts exorbitantes. Comme toute niche fiscale, ce dispositif a des avantages pour les bénéficiaires directs et, en réalité, des effets collatéraux préjudiciables à ceux qu’elle prétend aider, en l’occurrence, l’inflation des loyers et le renchérissement de l’immobilier outre mer, affectant la condition sociale et la vie quotidienne de populations entières. Mais on sait que cette pratique a des fondements cachés qui se révèlent dans d’autres aspects de la politique de l’État qui relèvent d’une exploitation néocoloniale des DOM TOM. Il faut à l’évidence réformer tout cela. […] (A suivre)



[1] Ce sont : la prise en compte des pertes et des bénéfices des filiales dans le résultat de la maison mère (« intégration fiscale » : 19,5 Mds€), le report illimité des pertes (53 Mds€), la déduction des dividendes versés par les filiales, y compris celles domiciliées à l’étranger (« régime fille mère » : 35 Mds€), la « niche Copé » ou exonération du produit de cessions de participations dites « à long terme », en réalité, dès deux ans (8 Mds€), le crédit impôt recherche (4,2 Mds€) où l’on trouve tout et n’importe quoi, et la déductibilité des intérêts d’emprunt, à l’origine de bien des dérives. Au taux de 33,33%, le rendement de l’IS aurait dû être de 153 Mds.

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