Hommage universel à Mandela : suite et fin.

« Et si l’Algérie avait eu un Mandela au lieu d’un Ben Bella ? »

Le point de vue d’un journaliste algérien.

3507749-5052703                                                                                          Kamel Daoud, en bout de table, à gauche, lors d’un colloque au Parlement euroipéen.

    A titre exceptionnel, je publie in extenso un texte paru dans Le Quotidien d’Oran sous la signature de son ancien rédacteur en chef, l’écrivain Kamel Daoud. Et je me pose cette question : les chantres de la repentance que sont les Manceron, Stora et autres Daum lisent-ils la presse algérienne ? Plus largement, savent-ils que des personnalités algériennes historiques telles que Mohamed Harbi et Hocine Aït Ahmed ont fait leur mea culpa quant à la façon dont l’Algérie a traité les Piénoirs et les Harkis ? Mieux encore, car il est, lui, toujours dans le combat pour la démocratie en Algérie, un certain Nordine Aït-Hamouda, co-fondateur et député du Rassemblement pour la Culture et la démocratie (RCD), a publiquement demandé une mise à plat (la formule est à la mode) de l’histoire de l’indépendance algérienne, y compris sur les massacres de 1962. Or, cet homme courageux qui a passé quelques années dans les mêmes geôles algériennes où sont enterrés vingt-et-un mille des vingt-quatre mille Harkis qui y ont séjourné, n’est autre que le fils du Colonel Amirouche. Nos porteurs de valises rétrospectifs seraient-ils trop au-dessus de la parole de cet homme ? Ou, plus sûrement, irait-elle par trop à l’encontre de leur véritable projet, qui est de salir la France ? (Voir post-scriptum en fin d’article)

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Malheureusement, nous n’avons pas eu un Mandela en 62 par Kamel Daoud, in Le Quotidien d’Oran, 7 décembre 2013

   Mandela Nelson est mort. Le monde va saluer sa vie, son œuvre, son sourire, sa mort et sa philosophie. Et nous Algériens ? Faire de même dans la longue procession de l’hommage. Mais au-delà ? Un regret secret, une amertume. Le chroniqueur l’avait écrit un jour : « Et si on avait eu Mandela en 62 et pas Benbella ? Et si on avait eu la Vérité avant la Réconciliation et pas la Réconciliation sans la vérité, comme avec Bouteflika ? » Et si. 

    On ose alors le tabou parce que c’est un grand rêve éveillé : une Algérie qui n’aurait pas chassé les Français algériens mais qui en aurait fait la pointe de son développement, de son économie et la pépinière de sa ressource humaine. Une Algérie de la couleur de l’arc en ciel. L’Afrique du Sud de Mandela a eu son OAS, ses Pieds noirs, ses colons, ses fermiers blancs, ses radicaux noirs, ses traîtres, ses torturés et ses Aussarresses et ses Larbi Ben M’hidi. Sauf qu’avec Mandela le choix avait été de faire passer le pays avant les procès et les vengeances et de construire, en ouvrant les bras. La valise ou la mort n’était pas le slogan de Mandela malgré l’histoire douloureuse de cet homme touché dans sa chair, et l’histoire des siens tués, torturés, assassinés. L’homme avait une vision que nous n’avons pas eue et a sauvé son pays de la guerre civile et des tueries et des grandes vanités chauvines. Le «62» de l’Afrique du Sud, par cet homme, n’a pas connu sa crise de l’été, les guerres fratricides entre clans, les massacrés de Oued Sly, ni les coups d’Etat cycliques ni la main mise des casernes et des polices politiques sur le pays. Parce que Mandela voyait loin, les Blancs n’ont pas été chassés et massacrés ou exclus au nom d’Allah ou de l’identité. Les chars n’ont pas roulé vers la capitale de ce pays pour y violer la légitimité et on n’aurait pas cédé à l’illusion du socialisme, nous n’aurions pas été malades du butin et du bien-vacant et nous aurions évité les révolutions agraires et futiles qui ont détruit la propriété et la valeur du travail et notre patriotisme n’aurait pas été dégradé en propagandes et persécutions. Un Mandela algérien nous aurait évité la seconde guerre des années 90, sa fausse conclusion par référendum risible et un président à vie, unique dans le monde, parce que un Mandela algérien aurait imposé la dignité des deux mandats et pas plus. 

    Nous aurions fait les bons choix, nous aurions jeté les armes, les machettes dans l’océan, nous aurions choisi de sourire à l’adversaire et pas de l’assassiner et nous aurions fait coïncidé, chaque jour venant, le mot liberté et le mot libération. Un Mandela algérien nous aurait appris que la violence subie n’est pas nécessaire à rendre, justement pour casser le cycle. 

    Un Mandela algérien nous aurait évité le pays actuel, ses mauvaises convictions, nos mauvais jours et des molles dictatures et ses gabegies. Nous aurions perdu moins de vies et moins de temps et nous aurions été un grand pays. Car cet homme est l’un des très rares à avoir donné sens à la décolonisation. Toutes les autres épopées ont mal fini : la décolonisation glorieuse y a été menée à la dictature hideuse ou sournoise. Au massacre, aux caricatures sanguinaires et au sous-développement. C’est dire que l’on ne décolonise pas avec les armes, mais avec l’âme. Décoloniser n’est pas vaincre le colon mais le démon en soi. Adieu l’homme au sourire qui dénoue. 

(Merci à M. Louis Pierret, qui m’a signalé cet article).

Post-scriptum : mon enthousiasme a été douché par la lecture d’un texte et d’une vidéo que m’a adressés une lectrice algérienne de mon blog. Je les ai postés avec un commentaire. A lire ici.

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