“L’éthique protestante ou l’esprit de la politique”
Photo-montage publié par Le Monde “M” et Die Zeit.
On sait depuis Max Weber que le Protestantisme comporte dans son ADN une sorte de chromosome du travail et de l’enrichissement ; je me demande s’il n’aurait pas également un chromosome de l’honnêteté politique. Rassure-vous : je ne vais pas vous infliger un pensum sur ce thème qui mérite par ailleurs qu’on y consacre un livre. Mais le clin d’œil était tentant ; or, je résiste à tout sauf à la tentation.
La visite d’Angela Merkel à François Hollande est le prétexte à l’éternel débat sur les politiques économiques respectives de la France et de l’Allemagne. La réussite allemande est tellement outrageuse qu’elle suscite des propos acerbes de nos élites nourries au lait du marxisme-lénino-maoïsme incapables d’admettre que la politique consiste d’abord à faire la prospérité du pays qu’on gouverne et celle de ses citoyens. Moyennant quoi, on accable la pauvre Allemagne et on l’accuse de mauvaise camaraderie parce qu’elle s’autorise des excédents commerciaux de 185 Mds€. Rien à faire ! Les idéologues français de l’anti-Nation se fichent bien de ce que la France souffre si l’Europe prospère, et ils ne parviennent pas à admettre que les autres ne pensent pas comme eux. Total : au lieu de prendre exemple sur les Allemands, ils les fustigent, ils les critiquent, allant même jusqu’à nier leur réussite.
Dans le débat qui l’opposait sur C dans l’air d’hier, jeudi 19 à, excusez du peu, Philippe Dessertine, Jean-Dominique Giuliani et Ghislaine Ottenheimer, trois Européistes patentés comme elle-même mais admiratifs de l’Allemagne car clairvoyants, l’économiste médiatique du PS, Karine Berger, ne s’est pas une seule seconde départie de sa morgue et de ses habituels airs de supériorité méprisante et ricanante. Et, pour étayer son argumentation anti-allemande, elle se réfugia systématiquement dans des considérations macro-économiques sans jamais parler de la souffrance des Français. A grand renfort de statistiques étalées sur dix ans, et sans jamais faire allusion au fait que la RFA a absorbé seule une RDA ruinée par un demi-siècle de communisme, elle s’acharna à vouloir démontrer que la France fait “aussi bien que l’Allemagne”, sous-entendu, qu’il n’y a aucune raison de prendre exemple sur nos voisins et de renoncer à notre politique étatique dépensière. Qu’en est-il en réalité ?
Quand l’Allemagne enregistre un taux de croissance de 0,8% pour 2013 après 0,7% en 2012 et 3% en 2011, la France doit se contenter d’une promesse de 0,2% après % et 1,7%. Prenant la formule à la lettre, Moscovici et Hollande en sont tout contents. Sur trois ans, la différence est de 137% en faveur de l’Allemagne. Rapportés à la démographie des deux pays, l’écart est encore plus spectaculaire. Mieux, si l’on peut dire, ces performances sont réalisées avec, concomitamment, des taux de chômage respectifs de 5,2 et 11,1%. Madame Berger balaie tout cela d’un revers de main en disant qui’il y a là-bas beaucoup de travailleurs sous-payés, en omettant de préciser que l’état leur assure un complément de revenu et de prestations sociales plus confortables que ceux réservés à nos titulaires de revenus sociaux. Et elle nous rappelle que le taux de pauvreté est plus élevé en Allemagne qu’en France.
Il se trouve que j’ai consacré pas mal de pages de La France Confisquée à l’Allemagne. Voici un extrait de celles qui concernent les performances économiques et sociales comparées des deux pays.
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|…]Les dépenses comparées de la France et de l’Allemagne telles qu’elles apparaissaient aux bilans de l’exercice 2011, c’est-à-dire le cumul des prélèvements et des emprunts (déficit annuel), atteignaient respectivement 55,8 et 45,3% du PIB, soit 10,5 points de plus en France qu’en Allemagne. Là où le bât blesse particulièrement, c’est que leur répartition pèse d’abord et pour l’essentiel sur nos entreprises asservies au territoire et beaucoup sur les classes moyennes actives et détentrices de patrimoine. Les taxes sur la production sont plus de treize fois et demie supérieures en France qu’en Allemagne -dix-neuf fois en pourcentage de leurs PIB respectifs- (26,5 Mds€ soit 1,56% du PIB contre 2,04 Mds€ et 0,08%), et la fiscalité du patrimoine près de trois fois (73 Mds€ soit 3,4% du PIB en France contre 25,5 Mds€, soit 0,85%, en Allemagne). Pesant moins sur les entreprises, non seulement la faiblesse relative des prélèvements en Allemagne leur laisse une plus grande marge de manœuvre et leur assure une rentabilité qui favorise l’emploi mais, de plus, elle se répercute sur les salaires et sur les dividendes[1] et, donc, sur la consommation et l’épargne pour les ménages et, pour les entreprises, sur les investissements. Résultat, avec des taux nominaux comparables, le rapport de l’impôt sur les sociétés et de l’IRPP, qui sont prélevés en fin de circuit, est nettement plus élevé en Allemagne qu’en France. D’où un nombre d’ayants droits sociaux nettement inférieur[2]. C’est ce qu’on appelle un cercle vertueux. Enfin, la fiscalité allemande est beaucoup plus “juste” car elle est mieux proportionnée aux revenus disponibles, les Allemands ne connaissant ni les impôts locaux ni la CSG-CRDS. [ …]
Quant au niveau de vie réel comparé des Français et des autres Européens, les chiffres révèlent quelques curiosités parlantes. Si l’on s’en tient à la comparaison avec les Allemands, on observe les résultats suivants : le PIB de la France et celui de l’Allemagne, rapportés à leurs populations, sont respectivement de 29 532 et 30 296 €, soit une différence minime de 2,58% en faveur de nos voisins. Si l’on retient le produit intérieur brut en parité de pouvoir d’achat (PIB/PPA), c’est-à-dire en niveau de vie, on obtient respectivement 24 798 et 26 870 €, soit un écart plus sensible de 8,35 % en faveur des Allemands. L’écart est de 4,17% si on retient le revenu disponible médian, cette ligne imaginaire qui divise les habitants en deux parties égales, c’est-à-dire telles que 50 % aient un revenu net (revenus d’activité, d’épargne et de remplacement ou sociaux, diminués des impôts) supérieur, et 50 % un revenu inférieur. Si on se base sur 50% de ce revenu médian, le seuil de pauvreté est de 8 230 € en France et 11 675 € en Allemagne. A cette aune, il y a “seulement” 7,4% de Français pauvres contre 9,2% d’Allemands. Sauf que, en parité de pouvoir d’achat[3], les 4 736 000 Français concernés disposent en réalité de 6 560 € par an contre 11 033 € à leurs 7 544 000 homologues allemands soit 373 € de plus par mois (excusez du peu !). Quant à eux, les 2 368 000 Français (3,7%) sous le seuil de très grande pauvreté, qui disposent en théorie de 6 585 € par an, soit 40% du revenu médian, n’ont, en réalité, que 5 247 €/PPA pour survivre. Enfin, si on prend pour base 60% du revenu médian, 13,5% des Français entrant dans cette tranche de revenu vivent avec 9 876 € et 15,6% des Allemands avec 14 000 €. En parité de pouvoir d’achat, cela correspond à 7 870 et 13 240 €, c’est-à-dire 447 € (Quatre cents quarante sept €uros !) par mois de pouvoir d’achat supplémentaire pour leurs voisins d’Outre Rhin. Dans la réalité, cela se traduit, par exemple, par le fait qu’en moyenne les Allemands occupent des logements plus cossus (mais pas plus spacieux), partent plus que les Français en vacances et plus souvent à l’étranger, et qu’ils roulent plutôt dans des véhicules de gamme très supérieure[4], etc. La raison tient dans l’échelle des revenus, beaucoup plus serrée chez nos voisins que chez nous. Même si le modèle allemand tend à se rapprocher du français, les revenus comparés tranche par tranche sont plus serrés en Allemagne qu’en France. Le patrimoine cumulé des 10% de Français les plus riches est 400 fois supérieur à celui des 10% les plus pauvres. En Allemagne, c’est 80 fois.
Il y a 2 600 000 Français (1 sur 25) millionnaires en dollars contre 1700 000 Allemands (1 sur 48). Or, plus il est élevé, plus la part des revenus du patrimoine sur l’ensemble des revenus est importante. Elle est, par exemple, de 75% des revenus des 3 500 Français les plus riches. Les richesses étant beaucoup mieux réparties en Allemagne qu’en France, la grande majorité des Français a un niveau de vie très inférieur à la grande majorité des Allemands. Ceci est vrai pour les revenus de l’ensemble des Européens du Nord comparés à ceux des Français. Une deuxième différence, caractéristique du modèle français, est que plus de la moitié d’entre nous tire ses revenus de la redistribution. En moyenne, c’est 15% de plus qu’en Allemagne (près de 30% pour les ménages avec enfants à charge). C’est, à la fois la conséquence et une des causes de la faiblesse et de l’aggravation de l’état de notre économie. (Source : La France Confisquée)
[1] Grâce aux 15,4 Mds€ de bénéfices réalisés en 2011, Volkswagen a pu verser un bonus de 6 000 € à chacun de ses salariés (50 000 € pour les cadres) au lieu de 4 000 en 2010. Quant aux salaires, ils pourraient augmenter de 6,5% en 2013.
[2] Par exemple, les allocations logements sont douze fois plus importantes en France qu’en Allemagne (24/2 mds€).
[3] On verra plus loin en quoi cela dit que la monnaie unique est un mythe.