A quatre jours du scrutin européen, pourquoi voter contre l’Europe fédérale personnifiée par Martin Schulz, candidat de la gauche européenne et Jean-Claude Juncker, celui de la Droite et du Centre ? Aujourd’hui, l’accord de Partenariat transatlantique pour le commerce et l’investissementou TTIP, ex-TAFTA.
Traité transatlantique, une menace pour le modèle agro-alimentaire français.
D’après les partisans de l’accord commercial entre le Canada et l’Europe, son entrée en vigueur devrait se traduire par 12 mds€ par an de Produit intérieur brut supplémentaire pour l’UE et 8 mds€ pour le Canada. On ne peut mieux dire combien, nonobstant les dégâts que cela signifie notamment pour l’agriculture européenne (dont nous parlerons à propos de l’accord UE-États-Unis en cours de négociation), cet accord est disproportionné. En effet, le bénéfice sera de 21 € de pouvoir d’achat supplémentaire pour chaque Européen et de… 228 € pour chaque Canadien. No comment !
Il va de soi que l’accord (TTIP, ex-TAFTA) en cours de négociation non seulement avec les États-Unis mais également avec les pays du Mercosur (marché commun des pays d’Amérique du Sud) produira, décuplés, les mêmes effets que celui avec le Canada. On ne s’attardera pas sur ses bénéfices car aucune des promesses de ses défenseurs n’est vérifiable. En revanche, les menaces induites de ses clauses connues sont clairement identifiées. La filière agricole européenne, qui a mis deux décennies à se laisser imposer un modèle de production axé sur la santé des consommateurs européens, en sortirait révolutionnée. Si l’industrie agro-alimentaire a tout à gagner à se voir débarrassée de normes contraignantes avec lesquelles, d’ailleurs, elle triche volontiers, il en serait tout autrement de l’agriculture proprement dite. En son sein, la filière viande fait d’ores et déjà figure de sacrifiée par les négociateurs européens. Comme par hasard, ce seront les producteurs Français, déjà laissés pour compte de la PAC, qui seront les premiers touchés.
Interbev, l’interprofessionnelle du bétail et des viandes françaises, s’inquiète de l’importation en Europe de 300 à 600 000 tonnes de bœuf chaque année, soit entre 4 et 8% de la production européenne, en provenance du Canada, des États-Unis, et du Brésil. A l’argument économique s’en ajoute un, sanitaire, car les normes américaines diffèrent à tous points de vue, alimentaire, environnemental ou de bien-être, avec celles de l’Europe.
La traçabilité de la viande de la naissance de l’animal jusqu’à sa commercialisation est obligatoire en Europe. Ce n’est le cas ni aux États-Unis ni au Brésil. Et c’est surtout gênant parce que les Américains et les Brésiliens ne sont pas regardants sur les méthodes d’élevage des bovins : ils utilisent largement hormones et antibiotiques, interdits en Europe, comme facteurs de croissance ; idem des farines animales et des litières de volaille pour nourrir les bovins ; dans les parcs d’engraissement intensifs (les feedlots), les rations alimentaires comportent du maïs et du soja OGM à plus de 80% contre moins de 5% en France, où la nourriture est constituée à 70% de fourrages et de céréales produits sur l’exploitation ou dans la région d’élevage.
A propos de feedlots, qui représentent 40% de la production bovine américaine, ils peuvent contenir jusqu’à… 32 000 bovins « élevés », si on peut dire, hors sol quand un élevage dit intensif français en contient entre 60 et 200. Alimentés en fourrages dont la production occupe déjà 33% des terres arables de la planète et, accessoirement, provoque, au grand dam des paysans locaux, l’achat et la déforestation de millions d’hectares de terres africaines utiles, ces feedlots présentent un bilan environnemental (production d’azote, pollution de l’eau et des sols) catastrophique. Et ne parlons pas du bien-être des animaux, priés de se contenter, notamment au Brésil, de conditions de vie et de transport très inférieures aux normes européennes en vigueur : par exemple, le temps de transport sans pause est limité à 14 heures en Europe contre 28 aux États-Unis.
Peut-on imaginer que les Américains vont renoncer à leur modèle de production ? Aucune chance ! Or, les Européistes sont prêts à tout pour imposer chez nous leur modèle économique, comme ils le sont pour le modèle social ou culturel, parce qu’ils sont formés à l’école américaine (cf. la French-American Foundation). Et parce que le lobby cosmopolitiste et atlantiste contrôle l’Europe grâce aux très nombreux adeptes qu’il a placés au cœur de ses centres de décision (Voir). Il n’y a aucune chance, contrairement à ce que certains font mine d’espérer, que les législations européennes et françaises soient préférées aux américaines. Au contraire, tout tend à penser qu’une clause judiciaire des accords en cours permettra aux opérateurs économiques supranationaux d’imposer leurs vues aux états grâce à une juridiction d’exception sur mesure.
A cette heure, l’accord UE-Canada est scellé. Celui entre les États-Unis, le Mercosur et l’Europe ne le sera pas avant deux ans. Dans les deux cas, le Parlement européen et les états devront donner leur aval. Les nouveaux eurodéputés qui seront élus au printemps prochain auront à se prononcer. C’est ce dimanche que les Européens pourront, par leur vote, choisir ceux qui auront à le faire.