La France aussi… mais pas pour tout le monde !
Il paraît que le Luxembourg est un paradis fiscal pour les multinationales ! Il paraît même qu’elles y négocient leur impôt avant de s’y installer ! C’est, selon les gazettes, ce que Le Monde nous a « révélé » cette semaine. Ah, bon ! Moi qui lis la presse depuis l’âge de dix-sept ans, je crois avoir toujours su que le Luxembourg était un paradis fiscal, comme la Suisse, le Liechtenstein et Monaco. D’ailleurs, sont-ils vraiment les seuls ? La France n’est-elle pas elle-même un paradis fiscal pour les deux dizaines de sociétés du CAC 40 qui n’y paient pas d’IS tout en bénéficiant de l’essentiel des aides publiques à l’emploi ? Et, s’agissant de sociétés étrangères, ne négocient-elles pas en amont avec les pouvoirs publics les conditions de leur établissement en France ? Plus généralement, la fiscalité des multinationales y est-elle si terrible ?[1] Beaucoup de Français ont pu, à la mort de Christophe de Margerie, découvrir avec consternation que Total ne paye pas d’impôt en France ; mais sait-on que c’est le cas de bien d’autres entreprises ? De fait, et alors que le taux de l’impôt sur les sociétés est de 33,33%, son rendement a été de 8,24% en 2012 sur les bénéfices de 2011, 6,79% en 2013 sur ceux de 2012 et 6% prévus en 2014. En 2012, le taux effectif affecté aux bénéfices des 40 sociétés cotées (CAC40) était de 3% (0% pour 14 d’entre elles), un taux bien plus faible si on retranche les entreprises contrôlées par l’État comme EDF qui, elles, payaient un peu plus de 7%. Toutes ensemble, ces quarante plus grosses entreprises cotées n’ont réglé cette année-là que 2,2 mds€ d’IS pour un résultat brut de 76 mds€.
Pour la seule société Amazon, le chiffre d’affaire échappant à l’imposition en France est estimé à plus de 1,3 mds€ pour 2011. Grâce aux divers dispositifs d’optimisation, dont la facturation au Luxembourg de ventes réalisées en France, notamment, Amazon économise non seulement l’impôt sur les sociétés (IS) mais aussi la TVA. Le plus formidable est que, dans le même temps, elle a reçu de l’État et des collectivités territoriales une subvention de 4 500 € par emploi créé. Compte tenu des projets d’ouverture de nouveaux centres de distribution en France, ce sont quelque 17,5 millions d’€uros qui lui auront été versés à ce titre d’ici 2015. Et on vous passe les exonérations de charges sociales et autres sucreries locales genre exonération de contribution foncière des entreprises et de taxe sur la valeur ajoutée des entreprises (CFE-CVAE, ex-taxe professionnelle). Tout cela pour un résultat remarquable qui est la fermeture de milliers de librairies et autres distributeurs de livres.
En vérité, nos chers médias pratiquent encore une fois le rideau de fumée. Le buzz du jour est destiné à cacher les aberrations d’une Europe qui ne sait plus où elle habite et qui ne veut pas dire aux peuples la vérité sur son véritable objet. L’Europe sans frontières et sans barrières douanières, l’Europe sans fiscalité ni règles sociales communes et pourtant dotée d’une monnaie unique est une hérésie. La disparité des niveaux de vie et des économies des pays de l’UE induit automatiquement une concurrence sauvage entre eux. Concurrence égale concours : concours entre les régimes sociaux impliquant un dumping social, concours entre les régimes fiscaux impliquant un dumping fiscal.
Dans cette bataille pour séduire les entreprises de main d’œuvre, la France est particulièrement mal armée. Pourquoi ? Parce que, pour nourrir la cohorte de parasites qui concourent à sa ruine, l’État prélève une part toujours plus grande des richesses produites par toujours moins d’entreprises et de travailleurs utiles. Les entreprises utiles, ce sont celles qui paient les cotisations sociales et l’IS plein pot en bénéficiant le moins d’aides à l’emploi ; les travailleurs utiles sont ceux qui versent une partie conséquente de leur revenu à l’État et vivent du reste en touchant le moins d’aides sociales. Ces deux catégories se réduisent à proportion de l’augmentation du nombre et de la rapacité des parasites qui vivent sur leur dos. En vrac : les élus (540 000) dont les plus prestigieux, les députés et les sénateurs[2], sont les moins utiles et pourtant les mieux payés, ce qui ne les empêche pas de piquer à qui mieux mieux dans la caisse (voir le scandale du détournement par les sénateurs du budget de leurs groupes) ; les partis politiques qui, n’ayant pas assez du ½ milliard qu’ils coûtent chaque année à la collectivité nationale, captent, confisquent et réservent à la cohorte de leurs permanents les meilleurs emplois dans une multitude d’entreprises en affaire avec l’État : les banques, l’industrie pharmaceutique, les sociétés de distribution et de traitement des eaux (lire mon bn du 21/10), la téléphonie, les sociétés d’économie mixte, etc. ; les fonctionnaires surnuméraires des collectivités territoriales (un emploi sur trois) ; les syndicats qui, non contents de recevoir chaque année 2,4 mds€ d’argent public, détournent celui des services sociaux dont ils ont la tutelle : sécurité sociale et allocations familiales, caisses de retraite, formation professionnelle (32 mds€) ; les médias qui, pour prix de leur complaisance, reçoivent eux aussi 2,4 mds€ par an ; l’Université, où d’anciens ministres (comme Jack Lang) sont payés à prix d’or pour un ou deux cours par mois (voire aucun s’agissant de Luc Ferry) et où les piliers du système tel Benjamin Stora bénéficient, « au tour extérieur », de planques à 9 000 € mensuels ; les associations lucratives sans but qui se partagent 16 mds€ de subventions chaque année ; le monde de la culture forcément de gôche subventionnée (1 md€/an pour les intermittents permanents du spectacle) ; etc.
La France, mal armée, fait plus de concessions que les autres. Le dumping social dont on accuse les entreprises d’Europe de l’Est est aussi pratiqué par la France au bénéfice des multinationales. Il se traduit par une politique de l’emploi absolument ruineuse (voir plus haut le cas Amazon). Pour les besoins de mon livre. La France confisquée, j’ai bien étudié le système allemand : je n’ai pas vu qu’on y dépense des milliards pour faire venir des entreprises étrangères. Et pour cause : là-bas, le système fiscal est infiniment plus pertinent, cohérent et juste que le français. Conçu pour laisser aux entreprises le plus de moyens possibles pour investir et aux citoyens le maximum de libre-arbitre pour financer eux-mêmes leurs besoins sociaux, il se traduit par un moindre recours à la redistribution et, donc, par moins de prélèvements. C’est ce qu’on appelle un cercle vertueux. Mais cela suppose que le monde politique aussi soit vertueux et moins porté à se mêler de tout ; et cela suppose encore, de tous, des vertus patriotiques. Toutes choses dont nos élites se sont déchargées non sans en accabler la corporation la moins apte à les assumer : les sportifs.
Enfin, la tolérance aux pratiques fiscales du Luxembourg et d’autres pays comme l’Irlande est, en réalité, la contrepartie d’une politique européenne qui profite d’abord à l’industrie et à l’agriculture des deux plus grands pays de l’UE : l’Allemagne et la France. La politique d’expansion de l’Europe, constante ces trente dernières années, financée par des subventions aux pays nouvellement admis, est la promesse de nouveaux marchés d’abord pour les entreprises du bâtiment et l’industrie d’équipement. Un pays comme le Luxembourg, ni agricole, ni industriel, ni bâtisseur n’aurait rien à y gagner. Favoriser son « industrie » la plus importante, la finance, constitue une manière d’acheter son adhésion à une telle politique. C’est pourquoi il n’y a aucune chance de voir l’UE sanctionner le Luxembourg pour sa fiscalité. N’en déplaise aux donneurs de leçons sélectifs du Monde et de Médiapart.
[1] Ce qui est scandaleux, c’est de faire payer les niches fiscales par les entreprises captives opérant sur le marché strictement intérieur et qui n’ont pas les moyens de faire de l’optimisation fiscale.
[2] 577 députés + 348 sénateurs pour 67 millions de Français contre 435 + 100 pour 318 millions d’Américains.