A partir de cette semaine, une jeune expatriée française à Londres nous dira l’actualité vue par les Anglais. Ou autre chose, si elle préfère… Pour sa première, voici des choses vues autour de la mort de David Bowie.
Bye bye, Brixton Boy ! par Elle H.

Ce matin, au pied du portrait de Ziggy Stardust, les hommages fleuris des fans de David Bowie
C’est presque devenu un réflexe chaque matin. Avant même avoir pris mon café, comme toute une génération « hyper connectée » comme aiment à nous décrire les médias, j’ouvre Facebook. Je suis la première à me plaindre de la place que les réseaux sociaux en général, et le site américain en particulier, ont pris dans notre vie quotidienne, dans nos discussions, dans notre façon de nous informer, de consommer et de communiquer. Peu importe, quasiment contre mon gré, j’appuie sur le F bleu de l’écran d’accueil de mon smartphone. Il ne me faut que quelques secondes pour comprendre ce qui occupe les commentaires de mes contacts ce matin : David Bowie est décédé, à l’âge de 69 ans.
Chacun y va de sa réaction à chaud, plus ou moins sobre, plus ou moins heureuse : « RIP, you legend » pour Michael, « Non ! » pour Marie, « Tristesse » pour Gladys. Louise, elle, remercie son père qui l’a « éduquée aux trésors de l’art » et qui lui a fait découvrir Bowie, « un être d’un autre temps, et pourtant si actuel, si stylé ». Les posts sont accompagnés d’une chanson ou d’une photo. Chacun puise dans l’immense répertoire de l’icône et ressort l’archive la plus évocatrice. Et il y en a pour tous les goûts dans l’œuvre musicale et esthétique de cet immense artiste, une carrière parfaite pour qui veut rendre un hommage personnalisé (voir les 1000 visages de Bowie par Helen Green ci-dessous).
Quant à moi, je suis triste et surprise, mais d’une nature trop pudique pour me montrer aussi emphatique aux yeux de tous. Je préfère me mettre hors ligne et voir ce qu’en dit la ville. Il faut dire que j’habite à Brixton, quartier populaire à majorité caribéenne du sud de Londres qui a vu naître un certain David Robert Jones en 1947. Le quartier, autrefois connu pour ses gangs ultra-violents et surtout les émeutes raciales des années 80, 90 et 2010, a quelque peu perdu de sa sulfureuse réputation pour devenir un symbole de la gentrification. Ces dernières années, les commerces locaux et les logements sociaux se sont progressivement transformés en chaînes de restaurants et en résidences modernes. L’atmosphère si particulière, qu’on retrouve comme un motif dans la pop culture anglaise (et donc internationale) est pourtant toujours palpable. Certes les Guns of Brixton chantés par les Clash ont – heureusement – étés éradiqués, mais l’identité brixionienne demeure et je me plais à croire qu’on peut toujours considérer le borough comme un village – pas tout à fait Londres, ni tout à fait hors de la capitale.
Celui qu’on connait mieux sous le nom de Bowie était l’un des ambassadeurs de Brixton, comme en témoigne le portrait géant son alter-ego Ziggy Stardust qui trône sur un mur d’Eden street adjacent à l’avenue commerciale principale du quartier. Il s’agit d’une fresque murale réalisée par le grapheur australien JimmyC en 2013, et qui n’a pas bougé depuis. L’œuvre de street art fait depuis partie du paysage urbain, et seuls les badauds de passage y prêtent attention d’ordinaire. Ce matin, c’est une petite foule d’une cinquantaine de personnes que je trouve alors que je m’approche de la petite rue piétonne. La plupart ont l’air de journalistes. Les télés nationales et internationales sont là. Je suis surprise de l’âge des quelques fans venus se recueillir. Ils ont la vingtaine pour la majorité. Certains viennent déposer des roses, un poème ou une bougie. Tous ont leur téléphone à la main.
Moi aussi, je dégaine mon iPhone pour prendre quelques photos et capturer la scène. Alors que je m’approche du pan de mur devenu hôtel, je remarque une jeune fille portant sur le visage le même maquillage que Ziggy sur le portrait derrière elle. Elle discute avec un homme qui prend des notes, visiblement émue. A deux pas, un autre journaliste est en ligne avec sa rédaction. Il dit que la jeune fille a un joli minois et promet à son interlocuteur qu’il l’aura pour son reportage.
Je suis un peu déconcertée par toute cette agitation contenue et préfère continuer ma balade. Je remonte le High Street[1] pour arriver aux abords de Windrush Square, où se trouve une autre institution de Brixton, le cinéma Rizty. Sur la façade de ce magnifique bâtiment construit en 1911, les titres des films à l’affiche, inscrits chaque semaine en lettres blanches sur fond noir, ont laissé place à ces quelques mots : « David Bowie, our Brixton Boy, RIP[2] ». Star Wars attendra. La place est vide comparée à la petite rue laissée derrière moi. Seules quelques personnes se sont s’arrêtées pour se recueillir quelques secondes au pied de cet hommage en 4 par 3, finalement bien plus intime que le portrait de JimmyC. Je traverse la rue pour me poster au milieu de la place et lève la tête afin d’admirer le fronton du cinéma. Une femme d’une cinquantaine d’année m’apostrophe et me lance avec un fort accent caribéen : « He was our Brixton boy![3] ». J’ai juste le temps de lui sourire en réponse, avant d’être rejointe par les premiers journalistes. Il est temps de rentrer et reprendre une existence normale.
Plus tard dans l’après-midi, j’allume la télévision pour la première fois de la journée. Je me branche sur la BBC News (ou était-ce Sky News ?), un visage familier apparaît sur l’écran : c’est la jeune fille maquillée en Ziggy Stardust. Elle incarnera à coup sûr pour quelques jours au moins, l’image d’un artiste sans sexe, sans âge. Une star débarquée à Brixton, une étoile éteinte cette nuit mais qui brillera encore longtemps dans les yeux de ses fans.
https://www.youtube.com/watch?v=v–IqqusnNQ
Elle H.
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[1] Artère commerciale principale
[2] Rest in peace (Repose en paix)
[3] C’était vraiment un gars de Brixton
merci Kader , merci Mlle Elle H. , adieu David Bowie
Comme chaque fois que nous perdons quelqu’un de grand, une petite plaie s’ouvre pour laisser partir un peut de nos regrets mais aussi répandre de notre amour.
Encore une page de notre vie qui se tourne ! cela peut paraître dérisoire, mais un artiste qui disparaît, c’est un peu de notre vie qui s’efface : ces grands du spectacle ont accompagné nos moments de joie, simples, naturels, spontanés : ils correspondent à des plages de notre jeunesse où tout n’était qu’insouciance , sérénité et confiance : c’est peut être pour cela que nous sommes si nostalgiques ! des moments forts, que semble-t-il, la jeunesse actuelle ne connaîtra jamais ! il faut dire qu’il ne nous fallait pas grand chose pour être heureux ! un bon disque, entre copains nous faisait la journée, en boucle ! avec Bowie !
Merci Kader , un peu de cette joyeuse jeunesse qui part avec cet excellent et original chanteur et artiste …( très bon comédien aussi ……. enfin moi je l’ai aimé au cinéma dans ses tentatives ) …..mélancolie quand tu nous tiens mais hélas, l’actualité nous pousse à d’autres focus encore plus ………..douloureux.
Merci Kader et merci à Elle H. je suis de cette époque et si comme vous Kader ,je suis plus Stones ou Led Zep,j’ai quand même beaucoup apprécié et surtout reconnu l’immense talent de Mr.Bowie comme artiste à multiples facettes (danseur,mime,peintre,etc,etc.).Il était transgénérationnel,mon fils ,comédien et musicien en est plus fan que moi. Il n’a pas suivi de mouvements mais les a créés ce que je comprends en tant qu’artiste.
L’esprit qui régnait à cette époque et auquel j’adhère toujours :Etre soi-même,assumer ses convictions sans tenir compte du »quand dira-t-on? », du politiquement correct comme on le nomme aujourd’hui.
Beaucoup de ceux qui auraient craché sur lui hier,l’encensent aujourd’hui ce qui me fait doucement rigoler !
Amicalement