Qui se cache derrière les politiques ?

Derrière le Tafta, la géopolitique (2)

TAFTA : une pièce parmi d’autres d’un gigantesque poker géopolitique

editorial_mai2014_01-2-1728x800_c    Ces derniers temps, il est beaucoup question du refus des candidats aux élections à venir de signer le TAFTA « dans l’état ». J’ai écrit dans mon précédent article qu’il s’agissait à l’évidence d’une manœuvre destinée à gagner du temps. S’agissant de François Hollande, c’est une évidence. Tel éditorialiste a écrit que le candidat sortant en perdition jouait des lanceurs d’alerte pour se gagner les bonnes grâces de ses ouailles éperdues ; je souscris volontiers à cette analyse.

    Réélu, François Hollande SIGNERA le TAFTA ; non pas qu’il y croie ou qu’il pense une seconde que cet accord soit bon pour l’économie de notre pays, ce dont il n’a strictement rien à faire, mais parce qu’il est lié comme Faust l’est au diable aux forces supranationales qui – je vais le démontrer plus loin – sont derrière ce projet. Ceci vaut pour Nicolas Sarkozy et pour Alain Juppé, tous deux, comme Hollande, euro-atlantistes, et pour tous les autres candidats à la présidentielle de la mouvance UMPS, y compris ceux qui ne sont là que pour se placer, à l’exception notable de François Fillon.

    Il me semble que les réticences des candidats à la présidentielle américaine sont plus sincères. Cette analyse peut paraître à première vue contradictoire avec ce que j’ai toujours dit de la volonté hégémonique des Américains de constituer un vaste espace économique et géopolitique constitué des deux Amériques, de l’Europe et de l’Afrique dont ils seraient les maîtres et les tuteurs. Ce projet reste d’actualité mais la manière dont il est mis en œuvre commence, me semble-t-il, à agacer et, même, à inquiéter les élites économiques et politiques américaines. En effet, on assiste depuis quelques années à un phénomène qu’elles n’avaient sans doute pas prévu : le projet d’un ensemble euro-africain inféodé à l’Amérique est en train d’échapper à celle-ci. Il suffit en effet de voir qui est à la manœuvre pour comprendre que les États-Unis eux-mêmes risquent d’en être les victimes plus que les bénéficiaires. (A voir prochainement)

    Pour bien comprendre ce propos, je vous invite à revenir sur l’origine et les causes de la volonté d’hégémonie économique et géopolitique des États-Unis que j’appellerais le soft imperialism. Nous verrons ensuite comment le projet conçu pour servir LES intérêts nationaux pas seulement égoïstes mais vitaux des États-Unis a été dénaturé et en pratique confisqué par DES intérêts privés a-nationaux ou mondialistes, c’est-à-dire apatrides. Cela rappelle le phénomène qui a, en trente ans, permis à une coalition de lobbies prédateurs de confisquer la France. (Voir La France confisquée)

    Ce n’est plus un mystère pour personne mais il est bon de le rappeler, l’Union européenne est une création américaine conçue pour permettre aux États-Unis d’asseoir leur puissance dans un contexte de guerre froide. Il était logique que des pays solidaires face à la menace communiste s’associent pour la combattre ensemble[1]. Ce mouvement a été non seulement ralenti mais entravé par un De Gaulle sous pression communiste, la France étant, salon la formule de Paul-Marie Couteaux, « le seul pays au monde où le communisme a réussi ». D’ailleurs, il n’était pas question, alors, de faire de l’UE une préfecture des EU et de Paris une sous-préfecture. Pour s’en convaincre, il suffit de lire ce que le Président Valery Giscard d‘Estaing dit aujourd’hui de la dérive atlantiste, lui, l’atlantiste historique.[2]

    La création d’un bloc euro-afro-américain sous leadership U.S. ne fait pas que répondre à l’appétit de puissance des Américains ; elle est pour eux une nécessité vitale. Et je n’emploie pas ce mot au hasard : le bloc euro-afro-américain EST vital pour les États-Unis tout simplement parce que les pays émergents asiatiques ont, depuis dix ans, changé de statut : ce ne sont plus seulement des débouchés pour l’économie occidentale mais des concurrents d’autant plus redoutables qu’ils sont, pour les plus puissants d’entre eux, dotés de l’arme nucléaire.

    La nouveauté, depuis quatre à cinq ans, est que ces pays s’organisent pour constituer un pôle économique distinct du pôle occidental en vue d’échapper à l’emprise du dollar. Cela se traduit par la création en 1996 du partenariat stratégique Russie-Chine ou  RCSP (Russia-China Strategic Partnership). D’emblée interprété par ses détracteurs comme un projet agressif pour les Américains, tout montre qu’il s’agissait d’abord d’un rapprochement défensif russo-chinois visant à échapper à l’emprise économique américaine par la création d’une alternative multipolaire. Cette vocation s’est concrétisée avec la création en 2001 de l’OCS ou Organisation de coopération de Shangaï. Mais le tournant a été opéré quand Vladimir Poutine a compris qu’il était dans le collimateur des « Occidentaux ». Du coup, alors que, jusque là, il freinait des quatre fers par désir de maintenir l’équilibre entre les influences américaine et chinoise, le Président de Russie a changé de cap après l’affaire ukrainienne et a engagé son pays dans une coopération poussée avec la Chine.

    Dès lors, l’OCS est devenue une réelle menace pour les États-Unis ; une menace qui se manifeste moins par les manœuvres militaires communes organisées par ses membres que par ses projets économiques et monétaires. En effet, l’objectif de l’OCS est de sortir peu à peu de la dépendance du dollar et, accessoirement, d’entraîner derrière elle des états sous influence occidentale. C’est ainsi qu’au sommet de Fortaleza (Brésil) du 15 juillet 2014, on a assisté à un véritable remake de Bretton Woods version BRICS avec la création par ses cinq pays membres, Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud, d’une Nouvelle Banque de Développement au capital de 50 mds$ concurrente de la Banque Mondiale et du FMI, et d’un Fonds de Réserve Monétaire doté de 100 mds$. Au total, ce sont vingt institutions de coopération embrassant tous les domaines et ouvertes à d’autres pays qui virent le jour à Fortaleza.

    Vint ensuite, au sommet BRICS/OCS d’Oufa (Oural) du 8 juillet 2015, la décision de se passer du dollar et de l’€uro pour les règlements entre pays membres des deux organisations. Ajoutée à l’ouverture d’un processus d’intégration de l’Inde et du Pakistan (deux ennemis irréductibles, pourtant) dans l’OCS, tandis que l’Iran et la Turquie et d’autres pays moins influents et puissants en restaient de simples observateurs, cela constituait un véritable défi aux États-Unis et à l’UE.

    Mais, me direz-vous, pourquoi ces pays veulent-ils quitter un système qui marche apparemment bien depuis 70 ans ? Quel intérêt y a-t-il à créer un système concurrent ? La réponse tient en deux mots : obsolescence et dérives. Autrement dit, le système né de Bretton Woods est dépassé car il ne reflète plus du tout les rapports de forces régissant l’économie mondiale ; ensuite, les Américains ont très, trop, largement abusé de leur position dominante et du statut du dollar comme étalon des échanges internationaux en lieu et place de l’or. En réalité, cette situation aurait dû être réformée depuis longtemps mais les partenaires asiatiques des États-Unis ont été piégés.

    Piégés – c’est osé de dire cela à propos de Poutine ou des dirigeants chinois – par naïveté. En effet, au lendemain de la chute du mur de Berlin, des milliards de Terriens et leurs chefs ont cru que la paix allait venir ; c’était mal connaître les Américains. D’ailleurs, ils ont failli avoir raison. et ils auraient eu raison s’il ne s’agissant que de politique. On verra prochainement qu’il y a dans cette affaire bien d’autres enjeux et des protagonistes d’un autre genre.

    La création d’un pôle économico-financier concurrent du pôle dollar était lourde de menaces pour les EU, mais elle l’était tout autant pour leurs concurrents asiatiques ; c’est pour cela que ceux-ci s’en sont abstenus. C’est, en quelque sorte, les effets d’une dissuasion nucléaire appliquée à l’économie. L’irruption d’acteurs non politiques mus par le seul appétit de pouvoir et d’argent change la donne. Leur action est en train de provoquer le pire.

(Prochain article : Obsolescence du système de Bretton Woods et dérives)

Dans la série Derrière le Tafta, la géopolitique, lire aussi:

 (6) Au cœur de la toile Goldman Sachs

Peter Sutherland, le deus ex-machina de la subversion financiaro-mondialiste

(5) Quand la finance internationale s’émancipe du politique

L’euro-atlanto-mondialisme est au service d’intérêts privés, pas à celui des États

(4) EurAfroAmérique, la finance apatride à la manoeuvre

Etats contre nébuleuse financière apatride : la guerre des guerres ?

(3) L’obsolescence du système de Bretton Woods et les dérives américaines

Avec un dollar étalon livré à lui-même, l’Amérique se croit tout permis

(1) Au cœur de la toile Goldman Sachs

Peter Sutherland, le deus ex-machina de la subversion financiaro-mondialiste

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[1] Une menace active et constante tant du point de vue militaire qu’économique, comme en témoigne l’histoire de l’Afrique et de l’Asie, deux continents qui n’ont jamais connu la paix depuis 1945.

[2] Je vous recommande son site Europa qui s’ouvre sur une profession de foi appelant à « la construction urgente d’un ensemble fort et fédéré, comprenant, dans un premier temps, douze nations de l’Union européenne. Ce projet, baptisé EUROPA […] permettra au continent européen de redevenir puissant et solidaire face aux deux géants de la mondialisation, les Etats-Unis et la Chine ».

 

 

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4 réponses à Qui se cache derrière les politiques ?

  1. Robert dit :

    Passionnant, Kader. Il est clair que ce monde est en pleine mutation, avec des acteurs dont certains avancent « masqués », le TAFTA en étant une illustration. Nous attendons la suite de votre analyse avec impatience… Cordialement.

  2. macia dit :

    Merci Kader, chacun de vos articles m’éclaire plus.

  3. dominique dit :

    Merci Kader pour ce cours de géopolitique. C’est passionnant et j’attends la suite avec impatience moi aussi.

  4. Jany dit :

    Merci Kader pour ces explications. Une majorité de Français ne découvre le TAFTA qu’aujourd’hui.Le silence était de mise et je vous remercie pour nous avoir alerté depuis longtemps.Si Mr Obama tient tant à l’Europe unie,ce n’est pas pour rien!Vous dites « les intérêts nationaux ..des USA(mais pas que)ont été confisqués par des intérêts privés apatrides :Des Lobbies.C’est exactement ce que l’on dénonçait dans le film »Roller Ball »le premier(bien sur) qui date de 75,à savoir la prise de pouvoir des Trusts sur le monde dont les gouvernants ne sont plus que des marionnettes à leurs bottes pendant que l’on endort le peuple avec un sport !
    Amicalement

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