Réformes sociétales contre les peuples : la démesure. (Suite et fin)

    Ce texte est dédié à M. Gilbert Sincyr, que j’ai rencontré trop tard et qui est parti trop tôt, comme une suite à la discussion que nous avions eue sur ce sujet. Puisse-t-il, en son paradis celtique, l’apprécier !

L’hybris, crime contre la société.

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    Aïe, donc ! Puisque le dessein de la Nature concerne toute l’espèce humaine, il doit se réaliser universellement. Il faut donc un ordre politique universel. Or, dans les relations internationales, les états agissent comme les individus au plan national, sur le registre de l’insociable sociabilité. Mais les ressorts qui ont conduit malgré tout les individus à vivre en société (l’intérêt bien compris) s’appliquent aussi aux états. D’où la certitude qu’a Kant de l’établissement d’un État cosmopolitique universel. Nulle part il n’est question, pour cela, de l’abolition des états nationaux, ni, encore moins, de le réaliser contre la volonté des peuples. Qu’importe, la mondialisation forcée, l’Europe supranationale, antinationale, même, sont en marche, malgré l’opposition maintes fois affirmée des peuples.

    Je me demande quelquefois si les philosophes pensent à ce que la postérité va faire de leur œuvre, comment elle va être interprétée, triturée, faussée, exploitée à des fins parfaitement antinomiques avec leurs propres intentions. On sait comment Nietzsche et Marx ont été instrumentalisés au vingtième siècle pour cautionner les pires crimes. L’exploitation de Kant est plus sournoise. Les apprentis sorciers qui nous gouvernent et qui prétendent mettre en place une société idéale à l’échelle universelle s’inspirent évidemment de l’idée d’un dessein de la Nature très favorable à l’Homme. Le problème est que, dans leur volonté de puissance et mus par la certitude de leur propre infaillibilité, ils font mine d’oublier trois de ses propositions. La première est que la Nature vise l’accomplissement des dispositions qu’elle a mises dans l’Homme et non à faire de lui un être parfait.[1] La deuxième est qu’en aucune manière il n’est question d’extirper de l’Homme ses défauts et ses travers (ses passions) mais de les exploiter à son insu en vue de cette fin[2]. La troisième est que cette fin de la nature n’est réalisable que dans l’espèce[3], pas dans l’individu. Celui-ci trouve sa récompense dans l’estime de soi, autrement dit, dans la satisfaction du devoir accompli.

    Une notion court tout au long de la démonstration du philosophe : c’est la succession de progrès modestes et continus réalisés, sans qu’elles en bénéficient elles-mêmes, par la multitude de générations successives, qui permet à la Nature de mener à terme malgré elles son projet pour l’espèce humaine. A aucun moment il n’est question de révolution brutale, ni d’orienter la volonté des Hommes, ni d’influer sur leurs choix de société, d’où la cohabitation dans l’univers, pendant des millénaires, sur la base du noyau familial[4], de modèles multiples, souvent concurrents, quelquefois antagonistes. Cela signifie que nul individu ou groupement d’individus ne peut s’auto-investir d’une part plus importante que les autres de cette mission, ni prétendre en tirer un mérite particulier, ni s’attribuer le pouvoir d’imposer aux peuples un modèle de société contre leur gré. Autrement dit, nul ne peut se substituer à la Nature ou se comporter en démiurge. Le moins qu’on puisse dire est que les Prométhée au petit pied qui se sont donné pour mission le bonheur de l’humanité selon leurs vues, les Peillon, Taubira, Vallaud-Belkacem et autres Frères et Sœurs qui prétendent changer le monde contre sa volonté et, au besoin, en abolissant toute une civilisation, n’en ont cure. Au contraire : ils n’hésitent pas à se substituer à la Nature avec la certitude d’en accélérer le cours.

    Ce comportement qui consiste, par orgueil, arrogance, sentiment de supériorité et d’impunité, à s’affranchir des obligations inhérentes aux conventions sociales, aux mœurs, aux usages et aux lois – en un mot, en se prenant pour Dieu – est une forme d’outrage à la société toute entière. C’est l’hybris, la démesure. Elle était considérée chez les Grecs anciens et les Romains comme un crime. Quand, comme c’est le cas de nos élites sans dieu ni maître depuis dix-huit mois, ceux qui en sont sujets s’attaquent aux fondements même de la société, c’est le devoir des citoyens de s’y opposer et de se donner les moyens de les punir, ainsi qu’il fut fait de Prométhée par Zeus.


[1] Neuvième proposition. On peut considérer l’histoire de l’espèce humaine, dans l’ensemble, comme l’exécution d’un plan caché de la nature, pour réaliser, à l’intérieur , et dans ce but, aussi à l’extérieur, une constitution politique parfaite, car c’est la seule façon pour elle de pouvoir développer complètement en l’humanité toutes ses dispositions.

[2] Quatrième proposition. Le moyen dont se sert la nature pour mener à terme le développement de toutes les dispositions humaines est leur antagonisme dans la société jusqu’à ce qaue celui-ci finisse par devenir la cause d’un ordre conforme à la loi.

[3] Deuxième proposition. Chez l’homme (en tant qu’il est la seule créature raisonnable sur terre), les dispositions naturelles, dont la destination est l’usage de la raison, devaient se développer seulement dans l’espèce, pas dans l’individu.

[4] Qui ne voit dans cet universalisme du modèle familial basé sur le couple homme/femme une orientation de la Nature en vue d’assurer l’éducation des enfants ?

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