Après SFR, Alstom : quand Montebourg s’occupe d’un dossier industriel, gare aux dégâts. Hier, les aspects politique et économique. Aujourd’hui, le point de vue polémique.
Alstom vs SFR : que cache le « deux poids, deux mesures » anti-Bouygues ?
Alstom-General Electric : la synergie.
Curieux comment certains hommes politiques croient qu’il suffit de dire pour avoir fait ! Arnaud Montebourg est de ceux-là. Après avoir beaucoup gesticulé pour imposer la vente de SFR par Vivendi à Bouygues, il a brutalement cessé d’en parler et agit comme si l’affaire était close. Or, elle ne l’est pas, même si les médias français font dessus un black out complet, à l’exception de quelques radios confidentielles et sites d’infos noyés dans la multitude bavarde.
Pourquoi nous reparle-t-il de SFR, se dit le lecteur convaincu que l’affaire était close ? Un : parce que l’interventionnisme de Montebourg dans l’affaire Alstom la rappelle ; deux : parce que son insistance et, même, sa rage, à imposer Siemens à Bouygues tranche avec la facilité suspecte avec laquelle il a lâché celui-ci face à Numericable ; trois : parce que l’actualité n’en a pas fini avec SFR, et pas pour en dire du bien, je le crains.
Mais comparons les affaires SFR et Alstom. Premièrement, alors que chacun s’accorde à dire que le choix de General Electric pour la reprise des activités énergie d’Alstom est pertinent, tout le monde s’était étonné du choix de Numericable par Vivendi pour la reprise de SFR. A cela, trois raisons principales : la première est que General Electric est un groupe surpuissant et solide (107 mds€ de chiffre d’affaire) dont la branche Technology infrastructure est plus de trois fois plus puissante que celle d’Alstom (35 mds€ contre 11 mds€ en 2012 et 8 mds€ l’an dernier) alors que SFR (10,2 mds€ et un bénéfice net en 2011 de 1,8 md€) est vendue à une entreprise six fois plus petite et infiniment moins performante (1,3 md€ de CA et une perte de 65 millions d’€uros pour Numericable) ; la deuxième est que General Electric, qui dispose de 65 mds€ de cash, propose de payer rubis sur l’ongle les 11 mds€ fixés pour les activités d’Alstom qui l’intéressent alors que Numericable avait prévu de s’endetter de la même somme pour acquérir SFR avec des conséquences dont nous avons parlé (lire) et reparlerons plus loin ; la troisième raison est que, paradoxalement, Alstom vend au plus français de ses concurrents. En effet, General Electric France[1], qui salarie 11 000 personnes et fait travailler une multitude de sous-traitants, réalise à elle seule plus de la moitié du chiffre d’affaire d’Alstom dans le monde, soit 8 mds€. Siemens en réalise trois fois moins. Pour mémoire, l’acheteur de SFR, Numericable, est détenu par Altice, une société étrangère basée en Suisse et fiscalement rattachée à un paradis fiscal (lire).
Sur la forme, la firme allemande Siemens est sortie du chapeau de Montebourg alors qu’elle n’avait jamais, depuis qu’en 2004 elle avait été évincée par l’intervention de l’Etat, manifesté la moindre velléité de reprise d’Alstom. La voilà presque obligée de présenter une offre d’autant plus mal ficelée qu’elle est improvisée. Et, surtout, une « solution » porteuse en réalité de déboires futurs pour les 93 000 salariés d’Alstom du fait que les deux entreprises œuvrent sur les mêmes créneaux, alors que General Electric et Alstom sont complémentaires (lire). Ce que Siemens confirme en ne s’engageant que pour trois ans sur le maintien des effectifs. Alors, soit Montebourg est un fumiste absolu, ce qu’on ne peut exclure tout à fait, soit il « fout le bordel » (Ghislaine Ottenheimer à C dans l’air du 30/04) pour le plaisir et pour simplement se faire mousser. A moins qu’il ait uniquement en tête de faire monter les enchères, comme ce fut le cas dans l’affaire SFR.
Voici qu’on veut empêcher une opération manifestement utile à l’économie française et menée dans la plus parfaite transparence[2], alors qu’il y a quelques semaines seulement, on laissait faire une manœuvre tout ce qu’il y a de douteux en laissant racheter un fleuron de la téléphonie française par un aventurier cosmopolite arrogant et manifestement peu préoccupé de « patriotisme économique », Patrick Drahi. On dira que je suis obsédé par la vente d’SFR à Altice mais l’affaire Alstom ne fait qu’augmenter mon exaspération. Et, apparemment, je ne suis pas le seul. J’ai entendu sur France Culture, dans l’excellente émission du samedi matin de Dominique Rousset L’économie en questions, dans la bouche de David Thesmar, prof à HEC, la réflexion suivante : « Numericable a placé 11 mds de dette à haut risque sur les marchés internationaux à 5%. C’est le plus gros placement de l’Histoire… Une demande souscrite à hauteur de 100 mds. Ça veut dire que le prix auquel les investisseurs internationaux sont prêts à prêter à un à un investisseur très risqué est très faible. C’est le signe qu’une bulle de crédit est en train de se créer (« sous nos yeux et sans réaction pour l’instant », ajoute la très pertinente Dominique Rousset). Il va falloir que les institutions, les banques centrales surveillent ça de très près. On peut recréer les conditions des années 2000. Il y a un risque. » Ca ne vous rappelle rien ? Moi, ça m’a fait penser à l’hallucinante et surréaliste audition d’Arnaud Montebourg par la commission de l’économie et des finances de l’Assemblée et au coup de gueule d’Henri Emmanuelli (lire). Il avait clairement mis en garde contre une opération dans laquelle l’acheteur, pour gober un opérateur huit fois plus grand que lui, s’endettait dans des conditions absolument anormales et alarmantes.
Je repose la question : quels sont les vrais motifs de ce deux poids, deux mesures ? Et je précise ma pensée : quels sont les véritables enjeux de ces deux affaires et quels intérêts occultes les différentes parties prenantes y défendent-ils ? Serait-ce que, pour certains, le retour sur investissement serait plus important avec Drahi qu’avec Bouygues ?
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Dernière minute. Apparemment, notre presse commence à se fatiguer de la pusillanimité de notre ministre de l’économie. Entre autres articles, en voici un du Monde : Affaire Alstom : les incohérences de la stratégie française.
[1] Présidée par Clara Gaymard, l’épouse de l’ancien ministre Hervé Gaymard, démissionnaire en 2005 du gouvernement Raffarin pour cause d’occupation d’un duplex de 600 m² payé 14 000 € par l’Etat.
[2] Nonobstant le secret des négociations entre les deux partenaires, absolument nécessaire pour éviter les spéculations. Ce dont Montebourg se plaint au lieu de s’en féliciter, pour cause de crime de lèse-majesté, la sienne. Notons que le ministre menace Bouygues des foudres de l’Autorité des marchés financiers alors qu’on attend toujours que celle-ci enquête sur les mouvements de bourse qui ont accompagné la désormais sulfureuse vente de SFR à Numericable (lire).