Européennes 2014 : J – 1

    A la veille du scrutin européen, pourquoi voter contre l’Europe fédérale personnifiée par Martin Schulz, candidat de la gauche européenne et Jean-Claude Juncker, celui de la Droite et du Centre ? Aujourd’hui, les enjeux du projet d’accord transatlantique.

Quand l’UE des lobbies impose un OTAN de l’économie.

téléchargement

    Vendredi après-midi, j’ai regardé en continu toutes les émissions consacrées à l’élection européenne sur LCP-Public Sénat. J’ai ainsi pu, dans ma circonscription du Grand Ouest, assister à deux débats entre les listes concurrentes. Le premier confrontait des deuxièmes couteaux et ça s’est tout de suite vu. Le second, en revanche, a été formidable, j’ose le dire. Etaient opposés, par ordre alphabétique, Louis Aliot (FN), Michèle Alliot-Marie (UMP), José Bové (EELV), Jean-Luc Mélenchon (PGE), Robert Rochefort (UDI-Modem), Virginie Rozière (PS). Parmi les cinq têtes de listes présentes, les hommes, désolé, Mesdames, se sont montrés fort intéressants. Quant aux dames, Michèle Alliot-Marie, qui déjà, en temps normal, m’horripile avec sa façon de ponctuer ses phrases de « gneu » intempestifs (Alain Madelin aussi faisait ça), avait l’air de ce qu’elle était, quelqu’un sûr d’être élu et qui se fichait pas mal de savoir si ses colistiers le seraient. Ce qui ne l’empêchait pas de faire encore des promesses. Tout comme Virginie Rozière, un de ces « cabinards » socialistes qui me donnent des boutons et qui, malgré la décrépitude de leur parti et le naufrage de sa politique, continuent de donner des leçons. 

    En tout cas, grâce aux Aliot, Bové, Mélenchon et Rochefort, le débat a été instructif et d’une haute tenue. Malheureusement, sauf en ce qui concerne la ruine des paysans Africains par les multinationales subventionnées de l’agroalimentaire, évoquée par Mélenchon, je n’ai rien entendu sur les véritables tireurs de ficelles de l’Europe supranationale qu’on nous fabrique.

    Pour dire tout le mal qu’il pense du système européen, Eric Zemmour parle d’oligarchie à propos de ses dirigeants. Il n’a qu’à moitié raison : en fait l’Europe est dirigée par une oligarchie au service d’intérêts financiers. C’est donc plus précisément une ploutocratie. Le même Zemmour use également d’une formule très juste pour qualifier le projet d’accord transatlantique en cours de négociation entre l’UE, les Etats-Unis et le Mercosur (lire). Il s’agit, selon lui, de créer une sorte d’OTAN économique, c’est-à-dire, pour les Européens, de se mettre sous la coupe des Américains en matière économique comme ils le sont déjà en matière de défense. Alors, dans cette perspective, ceux qui croient les promesses selon lesquelles les négociateurs européens, le Parlement élu ce dimanche, la Commission et le Conseil imposeront aux Américains les normes en vigueur en Europe, se fichent le doigt dans l’œil. En réalité, ce sera déréglementation et marchandisation à tous les étages. Et, pour que les tenants de la libéralisation sans brides gagnent à tous les coups, le contrôle de l’économie sera mis hors de portée des Peuples comme, déjà, le contrôle de la politique.

    En réalité, la messe est dite. Les forces de l’argent détiennent la totalité, non seulement des pouvoirs de décision, mais aussi des organes d’orientation et d’arbitrage, soit directement, soit par l’intermédiaire de leurs représentants. Il n’est d’ailleurs pas surprenant que ces accords soient entrés dans l’actualité à cette période précise de l’Histoire. Avec l’arrivée aux affaire de François Hollande en 2012, c’est toute une génération de politicards formés à l’école américaine qui, en se saisissant des manettes, fait sauter les derniers verrous. Je parle évidemment des promus de cette super franc-maçonnerie encore peu connue des Français qu’est la French-American Foundation. Parmi les bénéficiaires de son programme Young leaders, figurent le Président de la République lui-même (admis en 1996) et son ex-conseiller Aquilino Morelle (1998), et pas moins de cinq ministres des gouvernements Ayrault puis Valls :  Pierre Moscovici (1996), Marisol Touraine (1998), Arnaud Montebourg (2000), Fleur Pellerin (2012, Commerce extérieur) et Najat Vallaud-Belkacem (2006). Pour « expliquer » et faire passer leur politique au bon peuple, ils peuvent compter sur de nombreux journalistes et patrons de presse ou de médias qui y sont passés avec eux : Bernard Guetta (1981, France Inter), Jérôme Clément (1982, Pdt d’ARTE) ; Christine Ockrent (1983), Jean-Marie Colombani (1983, ex-Dr du Monde, fondateur de Slate.fr avec Jacques Attali et producteur de plusieurs émissions politiques sur le service public de radiotélévision), Jean-Louis Gergorin (1994), Erik Izraelewicz (1994, feu-Dr du Monde), Laurent Joffrin (1994, PDG de Libération), Denis Olivennes (1996, Pdt d’Europe 1), Sylvie Kauffmann (1998, le Monde), Emmanuel Chain (1999), Annick Cojean (2000, le Monde), Matthieu Croissandeau (2002, le Nouvel Obs), Yves de Kerdrel (2005, leFigaro).

Avec les young leaders au pouvoir en France, la messe est dite

    Parmi les donneurs d’ordre de cet OTAN de l’économie, deux secteurs d’activité seront particulièrement gâtés. Le premier, c’est le secteur financier, dont le représentant le plus engagé dans le processus et le mieux servi est la banque Goldman Sachs. Viennent ensuite les spéculateurs du vivant et les géants de l’agroalimentaire ; ceux-là tireront tous les bénéfices de l’alignement des normes sanitaires européennes sur celles, beaucoup plus laxistes, des Américains.

    J’ai écrit que le secteur bancaire tirerait le maximum de bénéfices de l’opération. En fait, il a déjà obtenu l’essentiel de ce qu’il pouvait espérer de l’Europe. L’accord ne fera qu’institutionnaliser et, du point de vue des opérateurs, sécuriser un système où, en réalité, tout est permis à l’imagination débordante des Goldman Sachs boys. Aujourd’hui, le système bancaire a placé ses pions dans tous les rouages institutionnels, en particulier en France. Mais là où les autres banques se contentent de noyauter les institutions de leur propre pays, Goldman Sachs a placé ses hommes dans tous les organes de décision politique et économique d’Occident.

    C’est ainsi qu’en Europe, les GS boys sont à la manœuvre pour « réparer » les dégâts qu’ils ont eux-mêmes provoqués avec la crise des subprimes. Le personnage le plus caricatural de ce phénomène est Mario Draghi. L’ex-Gouverneur de la Banque d’Italie (2006 et 2011) devenu Président de la Banque centrale européenne (BCE) est celui-là même qui, en tant que vice-président de Goldman Sachs pour l’Europe entre 2002 et 2005 était chargé des « entreprises et pays souverains ». D’après Marc Roche, journaliste au journal Le Monde, « l’une de ses missions [était] de vendre le produit financier « swap » permettant de dissimuler une partie de la dette souveraine, qui a permis de maquiller les comptes grecs ». Il est considéré comme le co-responsable direct, avec deux autres GS boys, de la faillite de la Grèce en 2010 : Petros Christodoulos, président de la banque d’affaires National Bank of Greece, et Lucas Papademos, Gouverneur de la Banque nationale de Grèce (équivalent de notre Banque de France)  de 1994 à 2002. Ces deux personnages sont, avec Draghi, ceux-là même qui administrent une dette grecque dont ils sont directement co-responsables par des manœuvres frauduleuses : Petros Christopoulos comme gestionnaire direct, Draghi à la BCE et Papademos comme… Premier Ministre de la Grèce, fonction à laquelle il a succédé à un autre GS boy, Mario Monti, lui-même successeur lointain d’un autre GS boy, Romano Prodi, moult fois ministre et président du Conseil italien, président de la Commission européenne, etc. !

Les GS boys partout à la manoeuvre

    La Commission européenne a toujours été truffée d’anciens de Goldman Sachs. Les plus connus sont Peter Sutherland, ancien ministre de la Justice d’Irlande devenu directeur de l’OMC, actuel Président de la Royal Bank of Scotland ; Karel Van Miert, commissaire européen pendant dix ans, membre de quantités de conseils d’administration de multinationales. Au Conseil d’administration de la BCE siège Ottmar Issing, un ancien président de la Bundesbank. On en retrouve évidemment dans moult organismes internationaux. C’est le cas de l’ancien président de la Banque mondiale Robert Zoellick et du Portugais Antonio Borges, vice-président de Goldman Sachs jusqu’à 2008, qui a dirigé pendant un an le département Europe du Fonds monétaire international, où il a été nommé en octobre 2010 par Dominique Strauss-Kahn.

    Comme de juste, ils sont chez eux dans les allées du pouvoir en Amérique du Nord. Ainsi du Secrétaire au Trésor de Clinton, Robert Rubin, de celui de Georges Bush Henry Paulson, du Président de la Réserve fédérale William Dudley et de Mark Carney, gouverneur de la Banque du Canada.

    Qu’on se rassure, encore une fois, Goldman Sachs n’est pas la seule banque à être chez elle dans les allées du pouvoir politique, économique et financier. Les banques européennes ne sont pas en reste ; il serait d’ailleurs intéressant d’aller voir de plus près quelle institution chaque Commissaire européen sert en servant l’UE. En France, l’imbrication des sphères politiques, économiques et financières date des nationalisations de 1981, suivies des fausses privatisations opérées par Balladur en 1986 et 1995, non pas en faveur d’une « capitalisme populaire » comme on aimait à le dire, mais au bénéfice exclusif de la haute fonction publique politisée. Ici, les maîtres du jeu sont des Énarques et des Polytechniciens passés par les cabinets ministériels. Les banques et compagnies d’assurances, comme les laboratoires pharmaceutiques et les sociétés de téléphonie, sont de formidables fournisseurs d’emplois plus ou moins fictifs pour les élus, leurs proches et les apparatchiks de partis politiques. En échange, l’État ferme les yeux sur leurs marges faramineuses et hors de comparaison avec ce qui se pratique chez nos voisins européens (de l’ordre de 15% de bénéfices nets en moyenne). Ainsi, entre 2009 et 2011, les trois banques BNP, Société Générale et Banque Populaire-Caisses d’Epargne ont respectivement cumulé 21,6, 13,1 et 12,4 mds€ de bénéfices. Ce, malgré les pertes essuyées à l’étranger. Explication : l’État leur a donné toute liberté pour se payer sur la « banque de proximité », autrement dit pour faire payer aux déposants des frais et des taux bancaires prohibitifs. C’est ainsi que le Crédit agricole, qui a perdu sa chemise (enfin, la nôtre, car, au final, le contribuable en est toujours de sa poche !) dans des investissements très hasardeux outre-Atlantique, s’est très largement refait sur le dos de ses déposants. (J’y reviendrai dans un prochain article).

    Bénéfique aux puissances financières, l’accord transatlantique le sera également pour les spéculateurs du vivant et les multinationales de l’agro-alimentaire. Les Monsanto, Bayer et autres Unilever vont à coup sûr se frotter les mains. Dans l’histoire, les éleveurs français seront frappés de plein fouet. J’en ai parlé il y a deux jours (lire) ; je n’y reviendrai donc pas. Mais les autres filières s’adapteront. En réalité, la dérégulation et la dérèglementation, les industriels français de l’agro-alimentaire n’attendent que ça. En revanche, il serait étonnant que l’accord leur ouvre les marchés américains, sauf à délocaliser massivement leur production, ce que certains font déjà, car les freins à la production ne sont pas d’ordre réglementaire mais fiscal et social.

Les Africains, in fine victimes collatérales

    La concurrence en Europe même sera féroce ; les agro-industriels Français devraient en être les principales victimes. Or, ils ont un marché de rechange, encombré lui aussi mais qui échappe encore pour un temps à la dérégulation générale : l’Afrique. J’ai bien peur que l’industrie agro-alimentaire européenne cherche à compenser la perte d’une partie de ses marchés domestiques par l’accentuation de sa pression sur l’Afrique. Où elle retrouvera, comme c’est déjà le cas, ses concurrents américains et chinois mais où elle dispose encore d’un avantage dû à l’Histoire coloniale. Au terme du processus, ce sont les Africains qui risquent de faire les frais de l’accord transatlantique. Avec des conséquences, en une sorte de cercle vicieux, sur… l’Europe, laquelle sera à son tour soumise à l’accentuation d’une autre pression : l’immigration de populations africaines poussées par la faim. Mais peut importe pour les promoteurs de ce projet ; ce ne sont pas eux qui la subiront mais les Peuples.

    Actuellement, les entreprises françaises engagées en Afrique bénéficient de l’avantage des relations particulières que la France entretient avec les pays de son ancien empire. Ceux qui ont lu la France confisquée ont pu réaliser à quel point le sort de l’une est lié à celui des autres. Le Cameroun, la Côte d’Ivoire et le Sénégal, notamment, constituent des partenaires privilégiés des opérateurs français. Pas toujours pour le bien de leurs populations, malheureusement, mais je ne suis pas sûr que ça travaille beaucoup nos élites, ce que la campagne électorale en cours a montré, d’ailleurs, puisque, encore une fois, seul Mélenchon en a parlé. Les cinq principaux opérateurs mènent avec leurs concurrents occidentaux et chinois une véritable course à l’accaparement de terres dans le monde entier mais en particulier en Afrique où le potentiel est le plus prometteur (estimé à 56 millions d’hectares de terres utiles). Ce sont : Louis-Dreyfus Négoce pour la production de grains et, non pas de bio mais d’agro-éthanol ; le Groupe Bolloré, qui a un quasi monopole du transport et de la logistique dans 41 pays d’Afrique, et qui y exploite déjà quelque 150 000 ha de plantations de palmiers à huile et d’hévéas ; de même, Bonduelle pour les légumes, Sofiprotéol pour les huiles de palmes, les aliments pour animaux et le diester (agro-carburant), Michelin pour la production de caoutchouc.

    Les sociétés financières et les fonds de pension, détenus en partie par les banques et compagnies d’assurance, sont très présents sur ce créneau. Depuis quelques années, il y a également des sociétés d’investissement purement spéculatifs, dont certaines créées spécifiquement pour cela, qui achètent des terres pour les geler ou y organiser des safaris en attendant que leur prix monte.

    Comme de juste, ces « investissements » ne se font pas dans des conditions, selon les modalités et les règles, en vigueur en Europe. Les populations et les états africains, acculés par la misère des unes et l’endettement des autres, y sont systématiquement grugés. Mais tous n’y perdent pas, évidemment. Ainsi, les terres sont achetées à vil prix en vue de la spéculation après négociations avec des paysans propriétaires incapables de les exploiter eux-mêmes, tant la concurrence avec des productions occidentales subventionnées est déséquilibrée, ou à des états sous emprise d’un FMI qui les presse de vendre pour rembourser leurs dettes.

    Les conséquences sont le maintien des potentats africains au pouvoir, car c’est avec eux que les opérateurs négocient le plus vite et le plus favorablement. Par exemple, Bill Gates a, il y a quelques années, acheté au Zimbabwe, dont le président le président Robert Mugabe est un des dictateurs les plus arriérés d’Afrique, 200 000 ha de terres arables pour y cultiver du maïs transgénique. Et il négocie âprement avec le Kenya pour amener ce pays à accepter l’introduction des semences OGM, spécialité de Monsanto, avec laquelle il s’est associé. Mais les Français font exactement la même chose au Cameroun ou en Côte-d’Ivoire.

    Mais cela n’est rien à côté des conséquences sur les peuples : l’appauvrissement des populations rurales, auquel les politiques agricoles euro-américaines contribuent par trois canaux : 1. le subventionnement massif de leurs productions ; 2. les déplacements tout aussi massifs de populations, dont l’immigration africaine en direction de l’Europe ne constitue que la queue de comète. A l’horizon 2050, on estime à trois milliards le nombre de paysans chassés de leurs terres dans le monde ; 3. pour les Européens, mais, encore une fois, ceux qui subissent ne sont pas les mêmes que ceux qui profitent, le développement inévitable de l’immigration de pauvreté.

Ce contenu a été publié dans Non classé. Vous pouvez le mettre en favoris avec ce permalien.

Une réponse à Européennes 2014 : J – 1

  1. Philippe B. Tristan dit :

    Je pense que la majorité des gens ne se rendent pas compte à l’aube de quel virage de société nous sommes- et l’avenir qui nous attend…
    J’ai été stupéfié de me rendre compte combien de mes amis ignorent tout de ces accords transatlantiques.
    Côté presse c’est la grande discrétion. J’ai parfois dit par provocation que la presse française me faisait penser à la presse d’occupation pendant la 2eme guerre mondiale.
    Finalement je n’exagérais pas tant que ça… On désinforme par omission, on informe avec un parti pris qui n’avoue jamais son appartenance. Des journaux qui jadis étaient des modèles d’objectivité, maintenant qu’ils ont été rachetés par la banque ou la finance internationale, sont devenus de vrais supports de propagande, bref, de véritables torchons. Où est le Libération de Sartre, où est la ligne éditoriale fondatrice du Monde ?

    Donc, mon cher Kader Hamiche, continuez à fouiller et révéler, nous avons besoin de troubles fêtes de votre acabit.

Répondre à Philippe B. Tristan Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *