Pendant ce temps, la corruption institutionnalisée (4/4)

Les « relais d’opinion » à la soupe !

images                                                                                 Ton sans réplique, argument tirés par les cheveux et à-peu-près : arrivée en 2012 avec ses amis socialistes, V. Martin campe déjà sur les plateaux de télé. Son sésame ? La haine anti-FN.

    Dans la cohorte d’invités au banquet public, on a vu les élus locaux qui se gavent au mépris de la loi et ceux qui le font avec l’onction de la loi grâce à la décentralisation qui en fait de véritables potentats féodaux ; on a vu les entreprises publiques ou dépendant des commandes publiques qui servent de réceptacles à la concussion institutionnalisée grâce aux milliers d’emplois plus ou moins fictifs mais toujours grassement rémunérés  qu’elles réservent aux élus et aux apparatchiks des partis ; et on a vu les médias soigneusement muselés grâce à la masse de subventions qui s’abattent sur eux et aux positions accordées à leurs ténors par la radiotélévision publique et l’édition, elle-même contrôlée. Le quatrième pilier est constitué par des agents de la vie publique qu’on classe dans les « corps intermédiaires » à côté des partis politiques et des syndicats : instituts de sondage, think tanks et fondations, notamment. Censés faire remonter l’information des citoyens vers les décideurs, ce sont en fait des porte-parole de ceux-ci auprès de ceux-là.  On les appelle sobrement « relais d’opinion » ; en réalité, ce sont des « faiseurs d’opinion ».

    La complicité ou, au mieux, la complaisance de ces « corps intermédiaires » est achetée via quatre canaux principaux. Le premier est le financement de leurs activités par des subventions : c’est le cas des fondations et des think tank. Le deuxième est l’attribution de marchés : commandes d’études pour les « spécialistes », notamment économiques, et de sondages ou « études d’opinion » pour les instituts de sondage. Le troisième est la nomination de leurs patrons à des organes de conseil de la puissance publique. Le quatrième est l’accès à la télévision publique qui assure une publicité à leurs enquêtes ou à leurs ouvrages. Car ces gens, qui multiplient les casquettes, ont encore le temps d’écrire des livres ![1]

    Pour mieux comprendre l’imbrication entre la sphère politique et les « experts » en tout genre, je vous recommande de visionner le film Les nouveaux chiens de garde de Serge Halimi. Arrêtons-nous précisément sur les think tank et les fondations. Leur tête est occupée par quelqu’un de fiable : un politique ou un ancien membre de cabinet ministériel. Le plus souvent, ils sont l’émanation d’organisations politiques. Certains ont mêmes été créés pour servir de confortable débouché à un ancien ministre ou à un apparatchik de parti politique. Souvent, leurs dirigeants cumulent des casquettes, quelquefois avec un siège au Conseil économique et social. D’autres continuent une carrière politique facile. C’est le cas de la Fondation Gabriel Péri dont le Sénateur Robert Hue fut le président rémunéré jusqu’à 2012. Son Vice-président et successeur, le syndicaliste CGT et ancien membre du Comité central du PC Alain Obadia, est au Conseil économique et social depuis 2004 (nommé par Chirac, reconduit par Sarkozy). En 2013, la fondation a reçu 1 243 000 € de plusieurs ministères. Ces sommes n’excipent pas d’autres subventions diverses et variées venant de tous horizons gérant de l’argent du contribuable.

    Son homologue version socialiste, la Fondation Jean Jaurès, fondée en 1992 et aussitôt reconnue d’utilité publique, annonce sur son site un budget total de 2,1 M€ (inchangé depuis 2011). Elle a reçu 1,655 m€ de subventions d’État en 2013. Présidée par Henri Nallet, qui a succédé à son fondateur Pierre Mauroy, ex premier ministre socialiste de François Mitterrand, Maire de Lille pendant 28 ans et Député ou Sénateur de 1973 à 2011, c’est LE think tank socialiste par excellence. Elle compte parmi ses membres quelques anciens ou nouveaux ministres PS, et une brochette d’intellectuels de haut vol comme Michel Wievorka, Directeur d’études à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS). Le directeur de ce think tank très Strauss-kahnien est Gilles Finchelstein, ancien de Sciences-Po comme la plupart des autres membres, et ancien de cabinets ministériels de Jospin, Strauss-Kahn et Moscovici. Il est également depuis 2002 directeur des études de Euro RSCG Worldwide et membre depuis 2008 du Siècle, le club qui fédère l’ensemble de la classe politico-syndicalo-médiatico-sondagière du pays et personnifie, de ce fait, la connivence qui lie les « élites » de notre pays. Le Président du comité d’orientation scientifique de la Fondation Jean Jaurès, Daniel Cohen, Professeur de sciences économiques à l’École Normale Supérieure de Paris, Directeur du Centre pour la Recherche Économique et ses Applications (CEPREMAP), membre du Conseil d’Analyse Économique auprès du Premier Ministre, éditorialiste associé au journal Le Monde, et Pascal Perrineau, Professeur de science politique à Sciences Po Paris et directeur du Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF), assurent la permanence médiatique, notamment à C dans l’air, sur France 5. Plus qu’un think tank, c’est d’un lobby qu’il s’agit là. Un lobby parrainé – son site parle de « mécènes » – par la fine fleur de l’entreprise publique française, celle vers laquelle débouchent toutes les pistes relatives à la confiscation du patrimoine national par des lobbies coalisés : Aéroports de Paris, la Caisse des Dépôts, EDF, GDF-Suez, la Matmut, Nexity, Orange, RTE (Transport d’électricité), Suez Environnement, Veolia. Mais ne cherchez pas sur le site de la fondation d’éventuels versements d’argent de ses « mécènes ». Il s’agit surtout pour eux d’assurer des rentes de situation à ses membres ou à ses protégés.

    Côté UMP, l’Institut pour l’innovation politique a été créé en 2004 sur le modèle de la précédente, version UMP. Comme elle, son budget 2010, de 2,28 M€, est essentiellement alimenté par des subventions publiques (1,39 M€ pour le seul Gouvernement) et des contributions privées (0,69 M€ dont 0,46 remboursés par l’Etat aux donateurs). En 2013 pour 2011, cette subvention était tombée à 1,36 M€. Dirigée par Dominique Reynié, prof à Sciences Po et pilier de l’émission C dans l’air, sur France 5, elle compte des personnages aussi marqués que son fondateur et Président d’Honneur, Jérôme Monod, ex-Lyonnaise des Eaux devenue GDF-SUEZ et grand manitou du chiraquisme triomphant. Son président est Nicolas Bazire, l’ancien Directeur de cabinet d’Edouard Balladur à Matignon. Il est mis en examen dans l’affaire Karachi en rapport avec le financement de la campagne de son mentor à la Présidentielle de 1995. Et, c’est moins connu, il fait partie des personnalités publiques qui ont largement usé de leurs positions pour prendre un maximum d’argent dans la niche fiscale dite « Girardin industriel ». Son Vice-président est Charles Beigbeder, auquel, je m’empresse de le dire, on ne connaît aucune casserole. Lui s’est beaucoup enrichi en créant en 2002 la société Poweo qu’il a vendue 7 ans plus tard avec une plus-value de 40 M€. Avec cet argent il a loué des terres en Ukraine pour, à tous les sens du terme, y faire du blé. Avec succès car, après moins de trois ans, il a encaissé 71 millions de mieux avec la vente de sa société Agro Génération à un groupe américain.

    Les quatre articles que je viens de consacrer à ce terrible problème qu’est la corruption illustrent la collusion entre ceux qui légifèrent (les élus du peuple), ceux qui régissent (les exécutifs national et locaux), ceux qui administrent (la fonction publique), ceux qui rapportent (les médias) et ceux qui expliquent et commentent (les experts). Ce qui cimente cette complicité générale, c’est l’argent, l’argent du contribuable, l’argent des citoyens. Pour que cet argent passe du Trésor public à la poche des particuliers qui y participent, il y fallait des institutions ad hoc. Trente ans d’alternance UMPS et consorts ont modelé les institutions de la France pour cet objet. C’est pourquoi je parle non seulement de confiscation de la France par une coalition de lobbies prédateurs mais aussi de corruption institutionnalisée. Aujourd’hui, si la loi interdit aux rapaces de dépecer notre pays, les institutions, elles, les y autorisent et, même, les y encouragent. Aujourd’hui, un maire peut acheter un terrain agricole et en multiplier la valeur par vingt en en faisant un terrain constructible. Aujourd’hui, le président de la Région Ile-de-France, dont j’ai parlé dans mon article du 7 décembre Dépassement de comptes de campagne : Huchon s’en sort mieux que Sarkozy, peut décider la fin du contrôle a priori de toutes les subventions de moins de 50 000 € pour pouvoir distribuer l’argent public selon son bon plaisir.

    La morale, le bon sens, le sens civique réprouvent de telles dispositions ; les institutions, elles, les permettent. Comment ? En accordant aux patrons d’exécutifs locaux la compétence générale pour gérer leur collectivité à leur guise, selon leurs lubies et, surtout, à leur profit et à celui de leurs proches et clients. C’est une véritable régression qui entre dans la cadre d’un processus de dépeçage de l’État-Nation en vue du futur transfert de ses pouvoirs à l’Europe. Dans l’immédiat, cette règle a une conséquence : le retour au système féodal. Et même par rapport à l’époque féodale, c’est une régression car, au moins, à l’époque, les seigneurs avaient un suzerain au-dessus d’eux et, mieux encore, une conscience qui les faisait scrupuleusement respecter un code de l’honneur qui n’a plus cours chez nos élites. Sarkozy avait supprimé la clause de compétence générale non par vertu mais par calcul, à une époque où son parti ne contrôlait qu’un tiers des collectivités locales. La gauche au pouvoir l’a rétablie pour les mêmes raisons et elle s’apprête à la supprimer de nouveau pour les mêmes raisons toujours : la perte attendue de 150 villes de plus de 20 000 habitants et l’abandon annoncé de la totalité des Régions et d’une grande partie des Département. Bilan en termes de civisme : néant !

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 [1] Dont ils sont sûrs qu’ils seront édités. C’est ainsi que seulement 5% livres publiés chaque année sont écrits par des auteurs nouveaux.

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5 réponses à Pendant ce temps, la corruption institutionnalisée (4/4)

  1. loule dit :

    Edifiant et révoltant….

  2. massadin dit :

    Bonjour Kader,
    vos articles sont de la même veine que « Le suicide français » (et c’est un compliment) et ils suscitent en moi la même révolte. Le France ne se suicide pas, elle est empoisonnée, et on connait de mieux en mieux les coupables. Quand le peuple se réveillera, s’il se réveille, hélas, la note à payer par certains sera salée. La légitime défense, ça existe aussi pour les nations, non?
    Continuez!
    Cordialement

  3. ZERAOUNE (SAÏDA) dit :

    Merci l’Ami…
    On en demande encore…encore….et encore …
    Amitiés….

  4. Martinez dit :

    Bonsoir Kader. J’ai beaucoup de plaisir à vous lire et continuez à nous informer. Comme massadin je dirai que votre analyse est de la même veine que le suicide français, de Zemmour. Je voulais vous remercier pour votre livre « la France confidquée » vous êtes pour moi, un visiońnaire. Merci
    Amitiés.

  5. Robert dit :

    Kader, j’étais déjà persuadé de vivre dans une « démocratie d’ apparence »; vous me le confirmez. Félicitations pour la qualité de vos analyses. Quant au « réveil du peuple » évoqué par un commentaire, je commence à douter…

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