L’ambiguïté de Charlie Hebdo (1)

Une France sous influence par Diana Johnstone 

Korbo.Made-in-USA.-18.112013

    Mes lecteurs savent quel est le point commun entre les guerres civiles en Ukraine, en Irak et en Syrie, et le terrorisme islamiste : une guerre que les Euro-atlantistes mènent à notre civilisation. De nombreux intellectuels et politiques d’Occident ont de cette dramatique actualité une vision peu goûtée de la doxa dominante. Parmi eux, Diana Johnstone, une universitaire et journaliste américaine. Diplômée d’études slaves, journaliste à l’Agence France Presse dans les années 1970, elle a séjourné en France, en Allemagne et en Italie, avant de s’installer définitivement à Paris en 1990.  

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L’ambiguïté de Charlie Hebdo

Une France sous influence par Diana Johnstone 

    Les assassinats terroristes à Charlie Hebdo ont frappé la France à un moment où elle a un gouvernement impopulaire et un président faible, où des usines ferment et où des emplois sont perdus, où la politique économique de la France est définie par l’Allemagne via l’Union européenne et où sa politique étrangère est déterminée par les États-Unis via l’OTAN. A part lors du moment thérapeutique de solidarité le 11 janvier, le pays se sent secoué par des vents contraires auxquels il ne peut résister.

    Malheureusement, une certaine symétrie se manifeste en France : Israël entreprend délibérément et avec constance tout ce qui peut attiser la peur chez les juifs français, dans le but de convaincre cette population désirable d’émigrer en Israël. Tsahal organise chaque année des campagnes de soutien à Paris et un certain nombre de juifs français accomplissent leur service militaire en Israël.

    En même temps, ce qu’on appelle l’ « État islamique » et « al Qaeda au Yémen », ainsi que des groupes islamiques fanatiques qui leur sont associés, travaillent assidument à recruter des combattants issus des communautés musulmanes, en France et dans d’autres pays européens. Quelque 1400 djihadistes ont quitté la France pour se rendre en Syrie et y rallier la Guerre sainte. Ils sont attirés par la perspective héroïque d’aider à « construire le Califat », une sorte d’Israël pour musulmans, une terre sainte retrouvée.

    La campagne de recrutement de Netanyahou jouit du soutien de médias occidentaux tels que Fox News, qui répand des rumeurs terribles suggérant que les juifs ne sont pas en sécurité en France. Ceci contribue à menacer la France de boycott par les juifs américains, un désastre potentiel pour l’économie et les relations publiques, qui suscite indéniablement la panique dans les cercles gouvernementaux français. Les dirigeants français ne sont pas seulement fermement attachés personnellement à la communauté juive, ils craignent aussi l’opprobre de voir leur pays fustigé comme “antisémite”.

    Netanyahou s’est imposé au premier rang des VIP venues à Paris le 11 janvier pour rendre hommage aux victimes de Charlie Hebdo. Hollande était furieux que Netanyahou ait profité de l’occasion pour jouer les enjôleurs, claironnant aux juifs français que leur seule “maison” est Israël. C’est sans doute la même colère qu’éprouve Obama quand il voit Netanyahou honoré par des standing ovations au Congrès. Mais, comme Obama, Hollande n’a pas osé s’opposer ouvertement à cette intrusion.

    Au demeurant, il n’ose pas s’opposer non plus aux obscures ingérences en France du grand fournisseur de pétrole et acheteur d’armes, l’Arabie saoudite, ni à celles du grand investisseur, le Qatar, tous deux soutiens de l’extrémisme islamique.

    Le Premier ministre turc Ahmet Davutoglu est venu dire à Hollande qu’il doit traiter les musulmans avec des égards et protéger leurs mosquées. Mais la Turquie soutient aussi les extrémistes islamiques en Syrie, qui recrutent de jeunes Français pour en faire des terroristes, et il est un piètre modèle en matière de liberté et de tolérance. La présence de Petro Porochenko, qui est devenu président de l’Ukraine uniquement grâce au désordre créé par les tireurs d’élite néo-nazis à Kiev, était un signal que la France doit adhérer aux sanctions antirusses imposées par les États-Unis, des sanctions qui contribuent au désastre économique de la France.

    Des pressions extérieures poussent maintenant la France à une guerre au Moyen-Orient qu’elle ne peut ni se permettre ni gagner.

    L’atmosphère de défiance est si lourde désormais que les théories de l’attentat sous “fausse bannière” fleurissent sur internet, nourries par des bizarreries dans le récit officiel. L’information selon laquelle un des frères Kouachi a oublié sa carte d’identité dans la voiture avec laquelle il s’enfuyait, facilitant ainsi l’identification rapide des tueurs, relève de la catégorie « ça ne s’invente pas » et on ose croire que n’importe quel auteur d’attentat sous fausse bannière aurait inventé quelque chose de plus crédible.

    A ce sujet, on peut faire remarquer, premièrement, que l’incompétence humaine est infinie, et deuxièmement, que lorsque ceux qui sont au pouvoir se précipitent pour profiter d’un merle blanc, cela ne prouve pas que ce sont eux qui l’ont créé. Ceux qui dictent le récit ont les moyens de profiter des événements. Comme avec le 11 septembre, l’histoire officielle est que les terroristes « veulent détruire nos libertés », comme si des décennies de destruction au Moyen-Orient n’avaient rien à y voir. C’est le genre d’argument qui prépare la population à appuyer la guerre.

    L’un des frères Kouachi, qui a fait feu sur les membres de Charlie Hebdo, et Amedy Coulibaly, qui a mitraillé une supérette casher, ont donné des interviews téléphoniques à BFMTV quelques heures avant d’être tués dans les attaques de la police. Kouachi a fait valoir qu’il était motivé par l’agression des États-Unis au Moyen-Orient. Sa conversion au djihad a commencé en regardant la destruction de l’Irak par les États-Unis et des photos d’Irakiens torturés par les Américains à Abou Ghraib.

    Les frères Kouachi ont prétendu agir au nom de l’État islamique en Irak et en Syrie (EIIL). Coulibaly a dit qu’il obéissait aux ordres d’al Qaida au Yémen – un endroit où de multiples attaques de drones américains ont tué d’innombrables quidams innocents. Coulibaly a dit qu’après avoir accompli une peine de prison pour vol, il avait rôdé autour des mosquées pour tenter de convertir des gens au djihad.

    Il est parfaitement concevable que le motif de base pour l’attaque de Charlie Hebdo ne soit même pas de “venger le Prophète” mais d’impressionner, inspirer et recruter des musulmans qui rejoindraient le grand djihad pour rétablir le Califat au Moyen-Orient. Charlie Hebdo était une proie facile dotée de valeur symbolique. Dans la mesure où ce désastre sert à renforcer chez les jeunes musulmans leur sentiment d’aliénation, l’objectif de recrutement risque d’avancer.

    La France est obligée de prendre des mesures pour limiter les voyages pour la Guerre sainte entre la Syrie et la France. On parle beaucoup de restaurer l’autorité et les “valeurs républicaines” dans les écoles. Mais les dirigeants français doivent examiner lucidement leur politique étrangère totalement incohérente, et, pour le moment, ils n’en donnent aucun signe. En assumant la direction symbolique de la guerre pour un changement de régime en Libye, la France a jeté ce pays dans le trou noir de l’extrémisme islamique. La France a collaboré à l’assassinat de Kadhafi, dont la philosophie développée dans son “Livre vert” était la risée de l’Occident. C’était toutefois une tentative d’offrir une vision moderne et modérée des principes de l’islam dans le but de combattre le fanatisme islamique qui avait toujours été son principal ennemi intérieur – et qui a tiré profit de sa mort. La destruction par l’OTAN de la Libye de Kadhafi a poussé la France à faire la guerre au Mali, à la poursuite d’un ennemi insaisissable que Kadhafi était parvenu à contrôler.

    La France, comme les États-Unis, désigne le terrorisme islamique comme son grand ennemi, tout en faisant son possible pour favoriser sa croissance et son extension. Le soutien constant des États-Unis à Israël, même pendant les bombardements meurtriers de Gaza sans défense, même lorsque le Mossad assassine des scientifiques en Irak ou en Iran, ou même lorsque des avions de combat israéliens tentent délibérément de couler un navire de la Marine américaine, l’USS Liberty, font apparaître les États-Unis comme manipulés par Israël, tandis que la France paraît manipulée par les deux, Israël et les États-Unis.

    Pendant plus d’un demi-siècle, l’Occident s’est systématiquement opposé aux états nationalistes laïques du Moyen-Orient, à commencer par l’Egypte de Nasser, en y exigeant en vain une démocratie de style occidental, alors que celle-ci est dénuée de bases sociales adéquates. Israël a toujours craint le nationalisme arabe avant tout, car il pouvait potentiellement gagner la Palestine. Le fanatisme religieux lui a paru plus sûr. Le nationalisme arabe était l’espoir politique positif de la région, et une fois cet espoir brisé, l’extrémisme islamiste s’est engouffré dans la brèche. Cette bataille se poursuit en Syrie, sous la direction de la France qui s’oppose à Bachar al Assad. Ce qui signifie, de fait, soutenir les islamistes au moment où Assad se prépare à leur faire la guerre.

    La folie évidente de cette situation est le reflet d’un gouvernement français qui ne semble plus capable de définir une politique dans son propre intérêt, et que les tourbillons de la mondialisation font chanceler.

(Demain : Blasphème et pornographie)

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Diana Johnstone est l’auteur de Fools’ Crusade: Yugoslavia, NATO, and Western Delusions. Son nouveau livre, Queen of Chaos : the Misadventures of Hillary Clinton, sera publié par CounterPunch en 2015.

Article original publié sur le site CounterPunch. Traduit par Diane Gilliard, révisé par Chris et Marcel Barang, pour le site suisse Arrêt sur Info.

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3 Responses to L’ambiguïté de Charlie Hebdo (1)

  1. Robert says:

    Merci pour cette synthèse lucide de la situation actuelle, loin des poncifs habituellement distillés par la presse, pour manipuler l’opinion publique. Vous pointez bien les responsabilités des différents acteurs.

  2. Jany says:

    C’est à coire qu’il n’y a pas de véritables experts auprès de nos politiques ,des gens qui connaissent la mentalité de ces peuples . Je n’aime pas les dictateurs ,bien sur ,mais eux savent comment réagisse leur population . De quel droit voulons nous imposer la démocratie occidentale ? Est-ce une nouvelle religion ?On nous dira que c’est pour le bien des peuples comme toutes celles qui ont voulu imposer leurs idées jusqu’à la plus envahissante actuellement .
    cordialement

  3. Richard Portier says:

    chapeau madame Johnstone! Dans cette “France sous influence” tout est dit,avec une impitoyable et tranquille lucidité.La femme n’est pas l’avenir de l’homme,elle est son present! La sérénité de l’analyse fait penser a Malika Sorel, dans un registre plus étendu,mais avec la meme intelligence et clarté…. Ca fait oublier les Caroline Fourest,Natacha Polony et la lamentable Léa Salamé…. Et c’est une américaine! On sent que l’abaissement français lui fait mal. Merci Madame…..

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