EurAfroAmérique, la finance apatride à la manoeuvre

Derrière le Tafta, la géopolitique (4)

États contre nébuleuse financière apatride : la guerre des guerres ?

Guerre froide    A ce stade de ma série d’articles sur le contexte géo-économico-politique du TAFTA il est bon de se livrer à un résumé des trois premiers épisodes : 1. la « négociation » sur le TAFTA est un leurre ; il sera signé quand la France en aura fini avec ses élections majeures de 2017. Pourquoi ? Parce que, 2. le TAFTA n’est pas une fin en soi ; il s’inscrit dans un vaste projet d’inféodation de l’EurAfrique à l’Amérique ; 3. la contestation du roi dollar issu des accords de Bretton Woods par les puissances économiques émergentes-émergées s’est brusquement accélérée l’an dernier et a débouché sur un embryon de système concurrent.

    Total : ce n’est plus seulement l’hégémonie de l’Amérique qui est menacée mais leur prospérité, voire leur existence. Oui, la menace est vitale pour les États-Unis. Je sais : c’est du brutal, comme disait Bernard Blier dans « Les tontons flingueurs » mais on en est bel et bien là. En effet, le dollar en perpétuel dérapage incontrôlé et en réalité sur-évalué du fait de la quantité astronomique de monnaie en circulation constitue un moyen pour les Américains de vivre à crédit, comme on l’a vu, non remboursable, ni demain, ni jamais. Cela signifie que les États-Unis prospèrent sur le dos des autres nations grâce à l’émission de dollars excédant la quantité effectivement gagée en or, c’est-à-dire, concrètement, de la fausse monnaie. En échange, ces nations bénéficient de la croissance. Mais toutes, y compris celles alliées aux États-Unis[1], n’en essaient pas moins de se débarrasser en douceur du stock de dollars qui gonfle sans cesse. Cette situation n’est viable que si la croissance américaine se poursuit et continue de se traduire par d’énormes importations qui soutiennent l’économie des autres pays. Or, tout le monde sait que ça ne durera pas. D’où, pour les nations stratégiquement concurrentes des États-Unis, la création d’une zone économico-financière concurrente de la zone dollar.

Jusqu’à présent, cette situation riche de conflits a été bien gérée

    Jusqu’à présent, cette situation riche de conflits, y compris une possible conflagration mondiale, a été bien gérée de part et d’autre des deux camps en présence car ni l’un ni l‘autre ne voulait en arriver à des extrémités. Si la Chine avait voulu, ainsi que certains en nourrissent le fantasme, et à supposer qu’elle s’en sente assez forte, déclencher une guerre contre les Américains, il lui aurait suffi d’exiger le remboursement des 1 500 milliards d’avoirs en dollars. Aujourd’hui, rien n’a changé ; personne ne veut de cette guerre. Ou, plutôt, ceux qui sont ENCORE POUR QUELQUE TEMPS, en charge des affaires du Monde, c’est-à-dire les politiques, font tout pour l’éviter. Mais elle est néanmoins inscrite dans la logique du processus en cours.

    Pourquoi ? Tout simplement parce que, en Occident, le politique est en train de perdre la maîtrise de l’économie et de la finance, et elle a de moins en moins de prise sur les relations internationales. C’est même tout le contraire qui se produit : les financiers s’emparent peu à peu de tous les leviers des états et des affaires publiques et en usent pour servir leurs seuls intérêts et, malheureusement pour la civilisation, leurs lubies idéologiques. En réalité, l’Occident est à deux doigts de tomber entre les griffes d’une caste financière qui s’est emparée de la quasi-totalité des pouvoirs, en Europe plus encore qu’aux États-Unis. Pour en juger, il suffit de répertorier les personnalités, en particulier françaises, venues du monde de la finance qui sont ou furent à la tête d’institutions politico-financières publiques, nationales ou internationales. En voici quelques-unes en vrac. Je ne cite pas les Américains[2] car il est normal qu’ils œuvrent à l’hégémonie de leur pays sur les instances internationales.

    Institution issue des accords de Bretton Woods, le FMI (Fonds monétaire international) était l’instrument de la politique internationale de stabilité monétaire et une instance de prêt aux états en difficulté. Avec la fin du système en 1973, il n’a conservé que la deuxième mission. Il exerce son contrôle sur tous les pays… sauf les États-Unis. Ce n’est pas le lieu ici de plonger dans son fonctionnement mais tout le monde a pu constater ces dernières années que, loin de s’en tenir au contrôle des politiques macroéconomiques des pays qu’il est censé soutenir, le FMI se livre à une véritable ingérence – toujours sur un mode ultralibéral – dans leurs affaires en de multiples domaines : travail, entreprises, banques, impôts, normes spécifiques, etc. qui relèvent de la souveraineté des états. Cela ne vous rappelle rien ? Le TAFTA aussi a la prétention de dicter aux états leur législation en toute chose. Quoi qu’il en soit, on s’accorde généralement sur le constat que la tutelle du FMI, contrôlé par les dix principales puissances économiques alors qu’il compte 188 membres, est néfaste aux économies des pays en voie de développement. Mais, plus que cela, le FMI, qui prospère sur la misère des nations, est partie prenante de la financiarisation de l’économie mondiale au profit d’intérêts privés.

    Réservée  aux Européens, la direction générale du FMI a souvent échu à des Français (5 sur 10 depuis 1946). Les deux derniers, Christine Lagarde et, avant elle, Dominique Strauss-Kahn, sont des Euro-Atlantistes tendance mondialiste affichés.

    L’Organisation mondiale du commerce participe au même projet de financiarisation de l’économie au profit des banques. Son premier président (1993-95), celui qui initia cette orientation fut un certain Peter Sutherland. Nous reviendrons plus loin sur ce personnage qui mérite à lui seul un article, voire un livre car c’est un des théoriciens et des acteurs les plus importants de la mondialisation et de la gestion du monde par la finance. C’est probablement l’homme le plus puissant d’Europe. Successeur de Peter Sutherland mais d’autant plus influent que lui se garde de déclarations provocantes du genre “l’Occident doit oublier sa civilisation !” (sic), le Français Pascal Lamy fut, à la direction de l’OMC de 2005 à 2013, un pivot de tout ce qui œuvre en France à la fédéralisation de l’Europe sous tutelle américaine.

    Mais c’est en Europe, et non aux États-Unis, que l’action des agents de la mondialisation et de la financiarisation de l’économie est la plus efficace. En effet, et c’est apparemment un paradoxe, les institutions du pays le plus libéral du monde ne permettent pas à n’importe qui de faire n’importe quoi. En effet, aux États-Unis, si les lobbies sont puissants et reconnus, la puissance de la société civile, servie par des lois de protection des droits des citoyens efficaces et une Justice puissante, limite leur pouvoir en les contraignant à la transparence. L’action des lobbies est, en toute logique, combattue et contrebalancée par celle d’autres lobbies. Ce n’est pas le cas en Europe où, à divers degrés selon les pays, il leur est possible d’agir dans l’ombre et de s’emparer illégitimement des instruments de pouvoirs sans être démocratiquement contestés et empêchés. La construction européenne a été, de ce point de vue, un formidable moyen pour les ultra-libéraux adeptes de la dérégulation quand il s’agit imposer leurs vues aux Peuples sans leur demander leur avis. Pour cela, il leur a fallu trente ans, le temps de mettre leurs agents à tous les postes de direction économique et financière des pays d’Europe et de l’UE elle-même. Une opération rendue possible par la complicité et/ou la complaisance de prescripteurs d’opinion mus par des considérations idéologiques et/ou d’intérêt.[3]

C’est en Europe, et non aux États-Unis, que l’action des agents de la mondialisation et de la financiarisation de l’économie est la plus efficace

    Les agents de la financiarisation de l’économie et de la confiscation des pouvoirs politiques par une caste d’idéologues mondialistes sont à l’œuvre aussi bien dans l’Union Européenne que dans les états provisoirement nationaux. La plupart des dirigeants de l’UE sont des gens qui, soit par idéologie, soit par profession, travaillent à la confiscation du pouvoir politique par la finance. Beaucoup ont fait des études aux États-Unis et/ou ont travaillé pour des banques américaines. Et tous alternent fonctions nationales et fonctions européennes. C’est le cas des quatre derniers Présidents de la Commission européenne : Jacques Santer, Président du Gouvernement puis Premier Ministre du Luxembourg de 1984 à 1995 ; Romano Prodi, Ministre de l’Industrie de 1978 à 1979, Président du Conseil italien à 1996 à 1998 ; José Manuel Baroso, Ministre des Affaires étrangères (1992-95) puis Premier Ministre du Portugal et Jean-Claude Junker, Ministre des finances (1989-2009) puis Premier Ministre du Luxembourg (1995-2013) ; c’est également le cas de nombre de Commissaires européens en charge des questions se rapportant directement à l’économie, à la finance et au commerce.

Mario Draghi : ruiner l'Europe après la Grèce ?

Mario Draghi : ruiner l’Europe après la Grèce ?

    Parmi eux, Pierre Moscovici, Commissaire aux Affaires économiques et financières, à la Fiscalité et à l’Union douanière. Le comportement de l’ancien Ministre des Finances de Jean-Marc Ayrault est symptômatique d’un des phénomènes révélateurs d’un changement de paradigme, comme disent les gloseurs de Marianne, Libé et consorts, dans les relations entre la sphère politique stricto sensu, les citoyens et la sphère financière, sur lequel je reviendrai dans mon dernier article. En relève un personnage comme Mario Draghi. Le président de la Banque centrale européenne (BCE), qui constitue à lui seul une véritable caricature de l’élite financière mondialiste, a entre ses mains l’avenir des nations et des peuples. Mario Draghi est un ancien vice-président de la Goldman Sachs Europe. A ce titre, il a été mêlé de très près au scandale du trucage des comptes de la Grèce. Il incarne bien le modèle de gestion de l’Europe qui se caractérise par ce que j’appellerais le « supranationalisme ».

    La Présidence de la BCE permet à Mario Draghi d’agir à sa guise[4], battant monnaie comme ça le chante, ainsi qu’il en a été à plusieurs reprises depuis 2011. Ce fut d’abord, soi-disant pour relancer l’économie, le lancement d’un vaste plan de refinancement à long terme des banques (en Anglais, « Long term refinancing operations » ou LTRO). En décembre 2011 et février 2012, la BCE a émis et distribué 1 018,5 mds€ qu’elle a prêtés à des taux très faibles (0,25%) aux banques pour qu’elles rachètent des dettes publiques. Pourquoi n’a-t-elle pas prêté directement aux États ? Nul ne le sait et personne ne s’est avisé, aux Conseil de l’Europe, de l’y obliger. Quoi qu’il en soit, cette seule opération a fait monter l’endettement de la BCE à 32% du produit intérieur brut de l’ensemble des membres de la zone Euro. Par comparaison, il est de 19% pour la FED américaine qui lui sert de modèle d’organisation mais pas de rigueur. (Il est vrai que la FED n’est devenue vertueuse qu’après avoir été lourdement punie, ainsi que tout le système bancaire américain, de ses turpitudes de 2008.)

    En 2015, ce fut la politique du quantitative easing (assouplissement quantitatif) qui consiste, pour relancer l’économie, à racheter aux banques, via la création de monnaie, les créances qu’elles détiennent sur l’État et les institutions publiques. D’abord limité à 60 mds€, le montant mensuel des rachats a été porté en mars à 80 mds€. Quoi qu’il en soit, on en est à plus de 1 100 mds€ créés en quinze mois qui se retrouvent stérilisés dans les comptes des banques car, contrairement au but affiché de l’opération, elles ne les prêtent ni aux ménages, ni, encore moins, aux entreprises. Tout cela rappelle très exactement la politique d’endettement des États-Unis (plus de 1 000 mds$ de dettes supplémentaires pour les finances américaines pour la seule année 2015.

    Précisons que cette politique est, pour beaucoup d’économistes, parfaitement inefficace. La démonstration en est faite d’emblée : les banques bénéficiaires de ces cadeaux ne les prêtent ni aux ménages ni aux entreprises. Certains fonds sont même mis en dépôts dans les banques centrales des pays membres de l’UE moyennant… loyers.

    Cette politique entièrement tournée vers le soutien aux banques et la financiarisation de l’économie ou, plus trivialement, la recherche de profits par la spéculation sur les devises et la circulation monétaire est relayée au niveaux des gouvernements de moins en moins nationaux par des ministres eux-mêmes issus du même sérail euro-atlantiste et mondialiste. Le personnel politique français est, là aussi, caricatural du phénomène : la plus grande partie de ses représentants les plus en vue a été formatée par le lobby des lobbies, la French American Foundation : Juppé, Hollande et huit de ses ministres, une bonne partie de ceux de Sarkozy, quelques-uns de Jospin, dont des ministres de la défense dite « nationale », mais aussi des chefs d’entreprises, notamment publiques, dont certains ont fait d’énormes dégâts partout où ils sont passés, comme à DEXIA ou à AREVA, dont la présidente, Anne Lauvergeon, vient d’être mise en examen pour une histoire de comptes truqués. Mais pour que leur influence soit effective, il faut qu’elle soit relayée ; c’est pourquoi nos médias sont très largement noyautés par les Euro-Atlantistes mondialistes, le premier d’entre eux, le Monde, en particulier.

https://frenchamerican.org/young-leaders

    Nous verrons dans le dernier article de cette série de cinq comment cette coalition de lobbies prédateurs[5] est en passe de confisquer le pouvoir politique et comment, pour arriver à ses fins, il mène le monde à une probable mais pas inévitable conflagration nucléaire.

(Prochain article : Peter Sutherland, le deus ex machina de l’EuroAfroAtlanto-mondialisme )

Dans la série Derrière le Tafta, la géopolitique, lire aussi:

 (6) Au cœur de la toile Goldman Sachs

Peter Sutherland, le deus ex-machina de la subversion financiaro-mondialiste

(5) Quand la finance internationale s’émancipe du politique

L’euro-atlanto-mondialisme est au service d’intérêts privés, pas à celui des États

(3) L’obsolescence du système de Bretton Woods et les dérives américaines

Avec un dollar étalon livré à lui-même, l’Amérique se croit tout permis

(2) Qui se cache derrière les politiques ?

TAFTA : une pièce parmi d’autres d’un gigantesque poker géopolitique

(1) Au cœur de la toile Goldman Sachs

Peter Sutherland, le deus ex-machina de la subversion financiaro-mondialiste

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[1] C’est l’une des fonctions des… paradis fiscaux.
[2] Sauf, en fin de démonstration, les dirigeants de la Federal Reserve (FED).
[3] De ce point de vue, la liste des membres des Young leaders de la French american foundation est révélatrice : la politique, l’économie, la finance, la presse et les médias en général, l’édition, tous les secteurs d’activité, tous les cercles d’influence y sont représentés.
[4] Sous le seul « contrôle » du Conseil de la BCE, composé des Gouverneurs des banques centrales, ELLES-MÊMES INDEPENDANTES, de chaque pays membre, la BCE « définit la politique monétaire » de l’UE.
[5] Je lis partout des références au Groupe de Bildeberg, à la Trilatérale, au Siècle comme lieux d’exercice d’un pouvoir occulte. C’est une erreur grossière. Des « lobbies » dont tout le monde ferait partie ne sont pas des lobbies, surtout quand eux-mêmes sont noyautés, comme nous le verrons. Leur seule fonction délétère est d’être des lieux où les participants les plus naïfs et sincères se laissent endormir par les représentants des vrais lobbies malfaisants.
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2 Responses to EurAfroAmérique, la finance apatride à la manoeuvre

  1. Jany says:

    Très intéressant et instructif comme toujours,merci Kader. Au départ de la construction Européenne,il y eut ” Le Marché Commun”,je n’ai jamais oublié le terme de Marché !Comme cela a ouvert la porte à des tas de vautours et s’est étendu ,il a bien fallu trouvé une nouvelle idéologie pour le “bon peuple” qui commençait à être réticent.Quoi de plus noble que la Paix ! tout être normalement constitué ne peut refuser ce but et ça a fonctionné .
    Merci encore pour votre travail et votre passion.

  2. domichel says:

    marche de leurres et de dupes; en résumé je dirais à qui profite le crime ?

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