Je dois des excuses à mes lecteurs. L’article annoncé comme le dernier de ma série consacrée à ce que révèle le TAFTA, la prééminence de la finance internationale sur le politique, a pris du retard compte tenu de la complexité de sa rédaction. Voué à prendre une ampleur inégalée (j’en suis à six pages A4 serrées et des heures de recherches), je me vois obligé de le séparer en deux parties. Voici la première, en espérant pouvoir publier l’autre dans un délai raisonnable. Mais, à mon grand regret, le mal est faible car ce sujet intéresse moins de monde que mes articles sur les élucubrations de Robert Ménard ou les errements du FN, et c’est bien dommage car le sujet est d’un autre intérêt et d’une autre portée pour l’avenir de notre pays.
Derrière le Tafta, la géopolitique (5)
L’euro-atlanto-mondialisme est au service d’intérêts privés, pas à celui des États
(Article légèrement actualisé, entre crochets, le 22 janvier 2018)
« Mais qui sont-ils ? Des gens qui ont été chefs de partis et ministres eux-mêmes. Des gens qui ont été maire de grandes villes de province et ministres régaliens quand ils n’ont pas été maire et Premier ministre. Soyons sérieux. Que me reproche-t-on ? Le mélange des genres que ces gens ont systématisé. Je ne fais pas partie de cette caste politique et je m’en félicite. Nos concitoyens sont las de cette caste ».
De qui ces mâles et fières paroles ? D’Emmanuel Macron, le haut cadre associé de la banque Rothschild fait ministre de l’économie par un membre éminent de cette « caste » tant honnie, à propos des élus qui le somment de s’expliquer sur sa virée londonienne. On ne sait pas à qui il faisait allusion[1] mais lui qui vient tout juste de sortir de l’ombre grâce à eux doit se sentir vraiment fort, très fort, pour s’autoriser une telle charge !
Dans une autre interview, il parle d’un système d’ »entre-soi nauséabond ». Serait-ce que le système est antisémite ? Parce que c’est bien cela que le mot « nauséabond » signifie aujourd’hui dans le discours politiquement correct. Mais trêve de supputations ! La sortie d’Emmanuel Macron révèle à coup sûr une chose : le monde de la finance mondialisée se croit autorisé à s’essuyer les semelles sur le monde politique. Et, ça, c’est vraiment intéressant pour l’avenir du monde et, accessoirement, du point de vue de ma démonstration.
Mais qu’est-ce-que Macron a à voir là-dedans, me diront mes lecteurs les moins au fait du complot qui se trame ? Car il s’agit bien d’un complot, pour le coup. A côté du projet d’une coalition de banques prédatrices de gouvernance mondiale par elles-mêmes d’une économie financiarisée, les menées du Groupe de Bildeberg et de la Trilatérale dénoncées par les complotistes de tous poils sont des jeux d’enfants.
Certes, ces deux organisations mondialistes furent longtemps parties prenantes es qualité du projet de gouvernement mondial aux mains d’experts et de technocrates[2] à leurs propres yeux infaillibles. Mais, ce qui se passe actuellement démontre qu’elles sont très largement dépassées ou, plutôt, elles-mêmes noyautées et instrumentalisées par la finance internationale. Ce, pour servir un objectif dont elles se rendent compte qu’il n’est plus le leur. D’aucuns parleront de naïveté mais je suis en effet convaincu que la très grande majorité des membres du Groupe de Bildeberg et de la Trilatérale sont sincèrement soucieux de l’intérêt général. Leur tort est de croire qu’il sera mieux servi par un gouvernement mondial que par l’entente entre des gouvernements nationaux.
Mais l’emprise de ce super-lobby prédateur va bien au-delà des élites mondialistes : elle s’exerce maintenant sur les États. En effet, jusqu’à présent, DES hommes politiques, de plus en plus nombreux, étaient inféodés à la finance internationale apatride ; aujourd’hui, ils sont majoritaires et détiennent en Occident tous les pouvoirs. C’est vrai de l’Union européenne qui est, comme je l’ai montré dans l’article précédent, aux mains d’une Commission elle-même au service de la finance internationale. Mais, surtout, et c’est ça la nouveauté, c’est également vrai des États, en tout cas les plus importants d’entre eux. Le contrôle des États européens par le super-lobby financiariste est une réalité plus ou moins accomplie dans la plupart des pays de l’UE : il l’est à 100% en France, en Belgique, au Luxembourg, en Italie. Il l’est en très grande partie en Allemagne où il existe, comme dans ces pays, un lobby atlantiste d’un type différent de la French American Foundation. Mais, plus ancien, moins artificiel et pré-fabriqué car directement lié à l’histoire des relations germano-américaines, le lobbying germano-atlantiste est, surtout, moins unilatéral, plus soucieux de l’intérêt des deux parties. Il s’exerce via le German Marshall Fund of the United States et la Fondation Berteslmann.
La French american foundation (FAF) est une création d’un groupe de personnalités de divers horizons, sous le haut patronage des présidents Valéry Giscard d’Estaing et Gérald Ford en 1976, en vue de multiplier les échanges entre les deux pays et de promouvoir le modèle libéral américain en France. La Fondation Bertelsmann, elle, est une création privée du patron du groupe de presse et d’édition allemand Bertelsmann, Reinhard Mohn, en 1977. Les deux organisations ont en commun la vocation atlantiste mais la Fondation Bertelsmann, qui possède le groupe de presse du même nom, a une activité multiple. Surtout, elle est naturellement intégrée dans les relations germano-américaines, à cause de la dépendance de l’Allemagne de l’après-guerre vis-à-vis des États-Unis, d’une part et, d’autre part, du fait du cousinage des deux peuples ; 65 millions d’Américains revendiquent leurs origines allemandes.
Le German Marshall Fund of the United States est d’une autre nature ; il fut fondé en 1972 par le Chancelier Willy Brandt pour remercier les Américains de l’aide apportée à l‘Allemagne par le plan Marshall. Dotée d’une personnalité officielle et, dès sa création, d’un fonds de 150 millions de DM, soit l’équivalent de 75 m€ 2016, le GMF est d’une puissance sans commune mesure avec celle de la French-American Foundation. Il est impossible d’obtenir les comptes de celle-ci, ce qui est une aberration compte tenu du nombre de contributeurs publics (dont EDF, la CDC), mais il est douteux que ses finances dépassent le dixième de cette somme, ce qui ne l’empêche pas d’être d’une efficacité redoutable grâce à son réseau de Young leaders omniprésent dans la gouvernance politique, économique, médiatique et sociale.
Les trois organisations sont dirigées par des personnalités influentes de la vie politique, économique et sociale et toutes trois ont parrainé nombre de leaders de premier plan en France et en Allemagne. Mais une chose les sépare et ce n’est pas rien : la French American Foundation travaille à influencer la politique française au bénéfice des États-Unis (nonobstant une parenthèse en cours du fait de la présidence Trump) tandis que la Fondation Bertelsmann et la GMF défendent les intérêts communs aux États-Unis ET à l’Allemagne. On conviendra de la différence. Une chose est sûre : quoi qu’il arrive, l’Allemagne est défendue tandis que, pour qui sait comprendre les choses, la France est ouvertement sacrifiée à un projet d’Europe des grandes régions transnationales ultra-libérale et souveraine.
D’ailleurs, financiarisation de l’économie ou pas, le monde aura toujours besoin des machines-outils et des grosses voitures et de machines-outils allemandes. Et, que le TAFTA soit ou ne soit pas signé, c’est comme pour le football du temps de Gary Lineker : à la fin, l’Allemagne gagnera. En effet, compte tenu de la structure de son économie, c’est elle qui profite le plus immédiatement de la croissance des autres pays. On peut évidemment augurer que la politique fiscale de Donald Trump aura, au moins dans un premier temps, des effets désastreux pour les économies européennes du fait de la relocalisation aux États-Unis d’une part colossale des investissements de multinationales américaines. [Actualisation du 22/01/2018 : APPLE à elle seule annonce 250 mds$ pour 2018 ! Il va de soi que, dans un deuxième temps, la reprise attendue de la croissance américaine, déjà sensible, profitera à l’Europe, mais, comme d’habitude, c’est l’Allemagne qui en captera l’essentiel.]
Quoi qu’il en soit, les forces apatrides qui veulent déconstruire la civilisation occidentale romaine chrétienne et la remplacer par un ordre mondial au service de leurs ambitions et de leurs appétits se sont emparées des meilleures positions pour mettre définitivement l’Europe à leur botte[3]. J’ai parlé dans le précédent article de la Commission européenne, de la BCE et de certains États tombés entre les mains (les griffes ?) d’agents de la finance internationale. J’ai parlé de la France aujourd’hui présidée et gouvernée par des membres d’un lobby euro-atlantiste et qui le sera encore – sauf miracle – au lendemain de la Présidentielle de 2017. [Prédiction réalisée puisqu’Emmanuel Macron, programmé pour 2022, a devancé l’appel de 5 ans à la faveur de la découverte des turpitudes de François Fillon.] Mais elles disposent de bien d’autres positions de force.
Par exemple, on parle beaucoup de « négociations » à propos du TAFTA. Or, et je l’ai souvent écrit, il n’y a pas plus de négociations que de beurre en broche. D’ailleurs, les Américains ne demandent pas aux Européens de renoncer à leurs normes mais de reconnaître les leurs. Je vous laisse réfléchir à la subtilité de cette dialectique. Mais pour faire plaisir aux Européens et endormir les Peuples inquiets, ils veulent bien faire semblant. Ce rôle a été dévolu au Conseil économique transatlantique, traduction approximative et lénifiante de Transatlantic Policy Network, qui signifie en réalité « réseau de gouvernance transatlantique », qu’il faut comprendre en réalité comme instance de pilotage du projet euro-atlantiste. Autrement dit, l’instance chargée de « négocier » les accords transatlantiques est celle-là même qui a vocation à faire adopter par l’UE l’ensemble du modèle économique, ultralibéral et allergique à toute norme, que les multinationales veulent imposer au monde entier.
Qu’est-ce que le CET (ou TPN) ? C’est une commission composée [fin 2015] de :
- parlementaires américains et européens : 26 Représentants et 5 Sénateurs américains, 50 Députés européens dont 15 Allemands, 10 Britanniques et 3 Français ;
- représentants de 35 entreprises multinationales dont 24 américaines, 6 allemandes, 2 suisses (!) et aucune française ;
- 20 représentants d’organismes (think-tank) agréés : 8 américains, 7 voués à l’UE, 3 allemands et 1 français (IFRI).
Elle est dirigée par un comité de 13 personnalités américaines et européennes dont aucune n’est française.
Tous les parlementaires membres de cette commission (appelons-la comme ça pour simplifier) sont des Européistes mais aussi des Atlantistes convaincus. Et tous se reconnaissent probablement dans la formule d’Alain Lamassoure d’après laquelle les opposants au TAFTA sont « des anticapitalistes primaires [qui] font le jeu de la Chine et affaiblissent l’Europe ». Le plus gros contingent de parlementaires européens membres de cette commission est membre du PPE (Parti populaire européen) qui regroupe les partis de centre droit, dont les Reps, au sein du Parlement européen. Ils forment à eux seuls la majorité absolue des 50 parlementaires européens membres du TPN. Parmi eux, seulement deux Français : Alain Lamassoure (UDI, ministre des Affaires européennes puis du Budget entre 1993 et 1997) et Françoise Grossetête (LR).
Le deuxième groupe parlementaire européen le plus représenté est l’Alliance progressiste des socialistes et démocrates, autrement dit les Socialistes et apparentés ; ils sont au nombre de 12 dont une Française : Pervenche Berès, membre du PS. Petite remarque : pas plus que ses collègues Lamassoure et Grossetête, Madame Berès ne fait figurer cette appartenance sur sa fiche Wikipédia, ou sur celle de l’Assemblée européenne. J’ai ma petite idée sur la question : c’est pour mieux joindre sa voix à celle du chœur des faux jetons qui, dans leurs circonscriptions, crient : « On nous cache tout, on nous dit rien ! » La vérité oblige à dire que les autres membres ne font pas mieux. Sans doute le CET (ou TPN) sent-il le pâté !
Il n’y a donc que 3 Français sur 50 membres, soit 4,17% de nos 72 Députés européens. En comparaison, les Allemands sont 15 sur 99 (15,15%), les Britanniques, 10 sur 72 (13,9%), les Polonais, 6 sur 50 (12%), les Portugais, 4 sur 22 (18,18%) et les Espagnols 3 sur 50 (6%). Bref, nos Députés européens ne se précipitent pas pour mettre leur nez dans les « négociations » sur le TAFTA. Ou alors, ils n’y sont pas les bienvenus.
Le deuxième groupe le mieux représenté est celui des entreprises. Là, il n’y a pas photo : avec 24 représentants (68%), les multinationales américaines se taillent la part du lion. Les Allemandes sont loin derrière avec 6 entreprises représentées (Daimler AG, BASF, Deutsche Bank, Bertelsmann AG, Siemens AG, Allianz). Sont également représentées deux multinationales suisses (Nestlé et Syngenta). Avec 1 représentant chacune, les économies britannique (HSBC), suédoise (Ericsson) et belge (SWIFT) ont également droit à la parole. D’entreprise française, point !
Vient enfin le collège des « cooperatives institutions », en fait, des think-tanks agréés et gavés d’argent par l’UE. Là comme pour les autres collèges, on ne s’étonnera pas de ne trouver qu’un think-tank français représenté pour 3 allemands, 5 « européens » et 8 américains. Les think-tanks « européens » sont des groupes de pression constitués à l’initiative de l’UE, grassement subventionnés par elle pour porter la bonne parole européiste et mondialiste dans les médias. Le think-tank labellisé « français », l’Institut Français des Relations Internationales (IFRI) en fait en réalité partie à 1000% tant cet organisme est une caricature de ce que l’Europe produit comme organes dévolus à sa propagande.
Son fondateur, Thierry de Montbrial, est lui-même une caricature d’euro-atlantiste mondialiste. Il est membre de la French American Foundation, les deux lobbies ayant des parrains, des soutiens et des partenaires communs, l’IFRI jouant presque la face visible et la FAF l’invisible d’un même organe tout entier voué à œuvrer à l’américanisation de l’Europe, au besoin, en contournant la démocratie. Et en utilisant les mêmes moyens : l’embrigadement de personnalités de tous horizons au service de leur cause commune.
On l’aura compris, il n’y a aucune logique dans la composition du Conseil économique transatlantique (CET), en Anglais Transatlantic Policy Network (TPN). Elle ne présente aucun caractère démocratique. Si cela avait été le cas, le collège des politiques aurait été élu par les parlementaires des deux parties ; on y aurait trouvé aussi bien des membres défavorables au TAFTA que des favorables, en proportion de leur nombre au Parlement européen. S’agissant des think-tanks, il n’aurait pas été absurde que des personnalités connues pour leur engagement anti-TAFTA puissent donner leur avis dans un tel cénacle. Quant aux entreprises, il est aberrant qu’il n’y ait aucune multinationale française représentée. Il en existe pourtant qui, au moins dans leur domaine, n’ont rien à envier à leurs concurrentes américaines et européennes : Total, Bouygues, Danone, Carrefour, etc. Mais tout cela n’a rien d’étonnant : les membres du CET n’ont pas été élus par leurs pairs mais DÉSIGNÉS ; et ils l’ont été par UN homme.
Cet homme, c’est un certain Peter Sutherland, Président d’honneur européen (il y a un Président d’honneur américain) de cette commission et, surtout, lié avec bon nombre des heureux élus (…pas élus, justement !). Très peu de Français savent qui il est, et pour cause : nos chers médias font tout ce qu’ils peuvent pour éviter d’en parler. Or, c’est LE personnage-clé, le tireur de ficelles, le deus ex machina du projet euro-afro-atlanto-mondialiste. Nous reviendrons longuement sur lui dans le prochain article.
Dans la série Derrière le Tafta, la géopolitique, lire aussi:
(6) Au cœur de la toile Goldman Sachs
Peter Sutherland, le deus ex-machina de la subversion financiaro-mondialiste
(4) EurAfroAmérique, la finance apatride à la manoeuvre
Etats contre nébuleuse financière apatride : la guerre des guerres ?
(3) L’obsolescence du système de Bretton Woods et les dérives américaines
Avec un dollar étalon livré à lui-même, l’Amérique se croit tout permis
(2) Qui se cache derrière les politiques ?
TAFTA : une pièce parmi d’autres d’un gigantesque poker géopolitique
(1) Les politiques se disent contre. Attention, manœuvre !
TAFTA : flou, mensonge et dissimulation à tous les étages.
Extrêmement complexe! pas à la portée de tous! On comprend qu’il y ait peu ou pas de réactions par tous vos lecteurs Kader…
Merci pour cette analyse. Beaucoup de nos compatriotes ont encore des illusions sur le réel pouvoir des politiques… Ceux qui fondent leurs espoirs sur le FN par exemple ! Mais ce n’est que mon avis…
Il est clair que dans les pays dits « démocratiques » nous sommes de plus en plus dans une démocratie d’apparence, qui évolue vers une « dictature douce » : une dictature mondialiste de la finance, menée par une ploutocratie qui méprise le plus grand nombre.
Encore merci pour ces analyses qui supposent un énorme travail d’investigation.
PS: personnellement, ces problèmes m’intéressent bien davantage que les péripéties de Mr Ménard.
Toutes mes salutations.
Toujours aussi complexe,c’est pourquoi j’avais reporté la lecture.Bravo pour votre travail.Il y a longtemps que la guerre est engagée,bien sur une guerre économique et non classique et vous avez raison l’Allemagne a gagné comme toujours sans que les gens s’en rendent compte(enfin une majorité).
Cordialement
La réalité, complexe certes, de la situation des pays européens est masquée par des médias serviles et rémunérés par ceux là même qui ont entrepris de changer l’ordre du monde… Dormez bonnes gens… à moins que vous ne lisiez un site (rare) comme Peuple et Nation.